Mercredi 4 décembre 2024
Concerts & dépendances
mercredi 27 octobre 2010 à 08h07

Fallait-il ? Ne fallait-il pas ? Trente-sept ans et six mois après sa création, la mise en scène des Noces de Figaro par Giorgio Strehler reprend du service à l’Opéra Bastille. En 2004, quand Hugues Gall a passé les clés de la maison à Gerard Mortier, celui-ci s’est empressé de « déclasser » la production. Si le spectacle qui l’a alors remplacé, signé Christoph Marthaler, avait fait l’unanimité, nous n’aurions peut-être jamais revu celui-ci. Mais pourquoi Nicolas Joël, successeur de Mortier, n’a-t-il  pas lui-même tenté d’autre Noces ? « Parce que celles-ci sont parfaites », se plaît-il à rappeler. Dans l’absolu, il n’a pas tort, mais qu’est-ce que l’absolu en matière de mise en scène ? En 1973, Strehler était considéré comme le plus grand metteur en scène du monde, et ces Noces, commandées par Rolf Liebermann, ont imposé l’Opéra de Paris comme la scène internationale qu’elle n’était plus depuis longtemps. De l’Opéra Royal de Versailles (pour les deux premières représentations) au Palais Garnier, de Garnier à la Bastille,  Les-Noces-de-Strehler est devenu une coquille vide, où se sont succédé plusieurs générations de grandes voix. Avant qu’Humbert Camerlo, qui avait été son assistant, n’en resserre les boulons, Strehler lui-même et son scénographe Ezio Frigerio avaient même demandé que leur nom ne figure plus à l’affiche. Aujourd’hui Camerlo, secondé par Marise Flach, détentrice de la « grammaire du geste strehlérien » (sic), continue d’entretenir la flamme. Vu avec les yeux de la mémoire, le  monument tient debout. Le dernier mot revient pourtant à ce jeune homme qui voyait hier Les Noces de Figaro pour la première fois : « Figaro et la lutte des classes, ça le faisait il y a trente ans. Mais là-dedans, il y a aussi tout ce qui nous  prend la tête aujourd’hui. Il faudrait que votre Strehler ressuscite pour nous raconter ça. »

François Lafon

Opéra de Paris Bastille,26, 28, 31 octobre, 3, 9, 11, 15, 18 et 24 novembre 2010, 13, 17, 21, 23, 28, 31 mai et 2, 5 et 7 juin 2011. Diffusion en direct sur France 3 le 3 novembre à 20h35. 

 

Crédit : Fred Toulet / Opéra national de Paris

samedi 16 octobre 2010 à 09h36

« Pierre-Laurent Aimard va enchaîner les œuvres qui constituent son programme. Il vous demande donc de n’applaudir qu’à la fin ». Le public du Théâtre des Champs-Elysées se le tient pour dit, et ne bronchera pas. Un seul portable sonnera, deux ou trois sièges claqueront. Un auditeur qui assiste à son premier récital de piano aura trouvé l’annonce inutile : de toute évidence, le pianiste n’a joué qu’une seule œuvre, coupée en deux par un entracte. Erreur : il y a du Bartok, du Liszt, du Messiaen et du Ravel. Peu auront vu la jointure entre Nénie (Bartok) et Aux Cyprès de la Villa d’Este (Liszt - Années de Pèlerinage). Quelques-uns auront cru que les Oiseaux tristes (Ravel - Miroirs) sont du même auteur que Le Traquet Stapazin (Messiaen - Catalogue d’Oiseaux). Aimard, disciple de Messiaen, complice de Boulez, a pourtant pris soin de mettre en valeur le style de chaque œuvre, de chaque compositeur, comme s’il tenait à parler le hongrois (Bartok, Liszt) sans plus d’accent que le  français (Ravel, Messiaen). C’est même, paradoxalement, pour tout cela que ce jeu de miroirs (tiens !) est si troublant. Pas de bis, cela briserait la glace. Dimanche dernier, toujours dans la saison de Jeanine Roze, Aimard faisait équipe avec Alfred Brendel, dans le cadre du centenaire de Jean-Louis Barrault. Une drôle de paire. A talent égal.

François Lafon

Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 15 octobre

Photo : Felix Broede /DG

Toujours féconds, les liens entre musique et politique. Nulle part ailleurs qu’en Union Soviétique ils ont été plus serrés et plus tendus, mais aussi plus troublants, principalement entre 1917 et 1953. C’est la période explorée dans une exposition qui vient d’ouvrir ses portes au Musée de la Musique (jusqu’au 16 janvier 2011). A l’image du « Troisième Reich et la musique », qui a connu un énorme succès en 2004, « Lénine, Staline et la musique » fait défiler toute une époque de la culture russe. On voit (et parfois aussi on entend) des manuscrits de Prokofiev et de Chostakovitch, des esquisses de Malevitch pour un opéra, des portraits à la gloire de Lénine et de Staline, des extraits d’Alexandre Nevsky (le film d’Eisenstein, avec une musique de Prokofiev). On retrouve les noms de Meyerhold, Rodchentko, Chagall, Gorki…

Age d’or ou âge de fer ? Les deux, car on voit surtout comment l’art devient, au nom de la Révolution, le serviteur d’une propagande. Un vent de liberté souffle (très brièvement) sur la Russie au lendemain de la Révolution d’Octobre. Puis, dès les années 1920, Staline se charge de mettre les artistes au pas, dans le sens le plus littéral du terme, processus qui culminera dans le fameux article de la Pravda, rédigé, semble-t-il, par le Petit Père du Peuple en personne, et condamnant sans appel Lady Macbeth de Mzensk, l’opéra de Chostakovitch. L’ombre de Staline (qui comme Lénine avait des goûts musicaux plutôt conservateurs) est omniprésente dans la deuxième partie de l’exposition, qui se termine sur les funérailles du dictateur, mort le même jour que Prokofiev. On apprécie mieux, à la fin de ce parcours, la liberté, fragile mais néanmoins réelle, dont jouissent les artistes dans la société actuelle. 

Pablo Galonce

Photos : 

Vladimir Tatline, La Porte du Saint-Sauveur, Projet de décor pour Une vie pour le tsar de Mikhaïl Glinka,1913 © Moscou, galerie nationale Tretiakov

 

Tatiana Bruni, L’Ouvrier au fourneau, projet de costume pour le ballet Le Boulon de Dmitri Chostakovitch, 1931 © Saint-Pétersbourg, musée national du Théâtre et de la Musique

"Lénine, Staline et la musique", du 12 octobre au 16 janvier à la Cité de la Musique, Paris.

lundi 11 octobre 2010 à 10h27

Avec sa dernière production de La Bohème de Puccini, le Capitole de Toulouse sacrifie à une tradition fortement ancrée : cette pièce est pratiquement revisitée tous les cinq ans, et l’on compte vingt-cinq reprises depuis sa création in loco. Les amours impossibles du livret sont-elles particulièrement appropriées à la fibre toulousaine, ou bien, au contraire, ce sont les pierres d’attente d’une lecture sociale de l’histoire qui fascinent ? Le metteur en scène Dominique Pitoiset appuie, quant à lui, ce dernier aspect et intensifie le vérisme de l’intrigue qui se déroule dans le Paris du 21e siècle. Pour les deux premiers tableaux, cette adaptation ne contraste pas avec la musique. En revanche, les deux derniers « résonnent » de manière très anachronique par rapport à ce que l’on entend : l’actualisation est exagérée et ne colle plus vraiment avec l’œuvre. Cela n’empêche pas l’émotion de passer, malgré aussi une certaine inégalité des chanteurs, un équilibre fragile entre l’orchestre et les voix, et une direction (Niksa Bareza) très conventionnelle

Katchi Sinna

Théâtre du Capitole, Toulouse, les 3,5,6,7,8,10,12,13,15,17 octobre 2010.

Photo DDM/Frédéric Charmeux

jeudi 7 octobre 2010 à 08h30

Au Châtelet, les Parisiens continuent à faire leur éducation en matière de musical. Après La Mélodie du bonheur, A Little Night Music et quelques autres, voici Show Boat, l’ancêtre (1927), l’acte fondateur du genre. On y assiste, sur une musique qui a fait son chemin (Ol’Man River et autres tubes), à trente ans d’histoire de l’Amérique. Les auteurs, Jerome Kern (musique) et Oscar Hammerstein II (livret), ont fait fort : on y voit une chanteuse de music hall rejetée parce qu’elle a du sang noir et des couples improbables liés par une incompréhensible passion, tous embarqués sur un show boat, un de ces bateaux théâtres qui sillonnaient le Mississippi. Venue de Cap Town, où la ségrégation n’est pas un lointain souvenir, la production n’est pas riche et la mise en scène ne doit pas être beaucoup plus moderne que celle de Maurice Lehmann, lors de la création française en 1929, déjà au Châtelet. C’est peut-être cela le plus émouvant, cette pièce de musée donnée comme un morceau d’actualité par une troupe qui a l’air de jouer sa vie. Comme tout le monde chante et bouge bien, on n’a jamais l’impression de voir un spectacle au rabais. Prochaine résurrection, en décembre : My Fair Lady. Encore une histoire cruelle sous des dehors souriants.

François Lafon

Théâtre du Châtelet, Paris, jusqu’au 19 octobre.

Crédit : © Malin Arnesson

La morale, le social, la religion, la spéculation : quatre clés du Triptyque, spectacle en trois volets imaginé par Puccini avant la guerre de 14-18, et créé juste après à New York.  Drame de la jalousie chez les mariniers en temps de crise (Il Tabarro), opprobre terrestre et consolation céleste pour l’aristocrate qui a fauté (Suor Angelica), magouilles financières chez les bourgeois (Gianni Schicchi) : fantasmes et réalités de notre avant-guerre. A noter que Puccini, en mal d’inspiration, retrouve la forme quand la méchante Princesse vient déshériter la femme perdue (Suor Angelica) et quand l’escroc Gianni Schicchi  détourne l’argent de la famille indigne. Dans le spectacle sans grâce ni inspiration signé par Luca Ronconi à La Scala de Milan et repris, avec une distribution passe-partout, à l’Opéra Bastille en guise de « première nouvelle production de la saison », cela se remarque à peine. Pourquoi, alors, monter ces œuvres qui ne valent que par ce qu’elles révèlent de leur époque, et, avec un peu de chance, de la nôtre ?


Crédit : Ian Patrick / Opéra national de Paris
 

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