Mercredi 11 décembre 2024
Concerts & dépendances
A l’Opéra Comique : Fidelio de Beethoven mis en scène par Cyril Teste et dirigé par Raphaël Pichon. Avec le premier, on s’attend à de la vidéo en direct : on l’a. Avec le second, à un retour aux premières versions de l’ouvrage, plus proches de Mozart : on ne l’a pas, le mélange des moutures s’étant avéré stylistiquement et dramatiquement tiré par les cheveux. C’est donc l’habituel Fidelio dernière manière (1814) que nous entendons, mais joué par l’Orchestre Pygmalion (instruments historiques) et dans un esprit de chambre justifié par la taille des théâtres de l’époque, plus proches de la salle Favart que de l’Opéra Bastille. Comme au théâtre (sa Mouette de Tchékhov alimente la chronique) et déjà à l’Opéra Comique avec Hamlet d’Ambroise Thomas, Teste fait donc éclater l’unicité des sources et travailler l’œil du spectateur. Problème qui tendrait à faire croire que le hasard est un coquin : la soprano Siobhan Stagg, physiquement crédible en Fidelio/Leonore travesti, est tombée aphone le jour de la première. Qu’à cela ne tienne, une doublure chante dans la fosse – samedi 25 Katherine Broderick, aujourd’hui Jacquelyn Wagner, formidables toutes les deux - pendant que la dame mime son rôle. Gênant ? Non, éclairant, d’autant que Mrs Stagg peut assurer les passages parlés, réduits au minimum et finement sonorisés pour ne pas rompre l’atmosphère. Que dire, sinon, du spectacle ? Que pour ne pas être une nouveauté (depuis la mise en scène de Jorge Lavelli à Toulouse en… 1977) la transposition contemporaine, dans une prison ripolinée prenant le contrepied de la tradition « cul de basse fosse suintant », passe bien sans chercher (ce qui est sage) à unifier les divers tons et styles (singspiel, grand mélo, oratorio final) ni les divers thèmes dramaturgiques (liberté, justice,  condition féminine) lesquels se heurtent de toute façon à l’optimiste final de l’ouvrage, si éloigné du sombre relativisme de notre époque. Enthousiasme pourtant d’une salle bondée applaudissant la double Leonore, le vétéran Albert Dohmen (Rocco), la fraîche Mari Eriksmoen (Marzelline) et l’élégant Christian Immler (Don Fernando), et réservant une ovation au décidément phénoménal Michael Spyres, le premier Florestan peut-être – avec des moyens opposés – à tenir tête au souvenir de Jon Vickers, tant les « moutons à cinq pattes » (super-héros de l’opéra selon Régine Crespin) sont rares sur les scènes actuelles. En sortant de sa zone de confort baroque, Raphaël Pichon gagne du galon, en dépit des rugosités de son orchestre.
François Lafon
Opéra Comique, Paris, jusqu’au 3 octobre. Diffusion sur Arte Concert le 1er octobre (Photo © Stefan Brion)

A propos de super-héros, ne pas manquer la journée (colloque, masterclass, concert) consacrée le 6 octobre à l’Opéra Comique par le Centre Européen de Musique à la légendaire Pauline Viardot, dont Berlioz écrivait qu’en Leonore de Fidelio, « elle tenait toute la salle haletante sous le feu de son regard, par la véhémence de sa voix, l’énergie menaçante de son attitude ».

vendredi 24 septembre 2021 à 01h08
Premier nouveau spectacle de la saison à l’Opéra Bastille : Œdipe de Georges Enesco sur un livret d’Edmond Fleg. « 11ème représentation à l’Opéra de Paris, 1ère dans cette mise en scène », indique le programme. C’est-à-dire que depuis sa création en 1936, l’ouvrage a été oublié par sa maison-mère, premier de la liste pas si courte des chefs-d’œuvre méconnus du répertoire français, ex-aequo avec Guercoeur d’Alberic Magnard. Voilà en tout cas une séance d’initiation, pour ne pas dire de rattrapage, qu’apprécieront ceux qui n’ont pu courir l’Europe, de Bruxelles à Salzbourg, pour entendre cet unique essai lyrique de l’éclectique Enesco. Au Palais Garnier en 1936, le public a dû sentir vaciller ses certitudes musicales. Aujourd’hui, on y entend du Strauss (celui de Salomé), du Debussy (Pelléas bien sûr), du Stravinsky (Oedipus Rex), mais aussi une façon qui n’est qu’à Enesco de marier avant-garde et archaïsme, traditions roumaine et française, pour offrir deux heures trois quarts de lave et de feu, couronné par un récitatif dont s’inspirera Olivier Messiaen pour son Saint François d’Assise. Roboratif donc, ou indigeste ? Plutôt l’un que l’autre, ayant mieux vieilli en tout cas que le livret versifié de Fleg, lequel a pour originalité de suivre Œdipe de sa naissance à sa surnaturelle disparition à Colone. Pour mieux tenir la main du spectateur néophyte, le metteur en scène Wajdi Mouawad remonte même plus loin dans un prologue de sa plume, où il nous rappelle (nous apprend ?) que la malédiction d’Œdipe (« Il tuera son père et épousera sa mère ») est consécutive  au viol perpétré par ledit père sur un enfant. Le reste du spectacle n’en suit pas moins la fable à la lettre, Mouawad s’étant cette fois gardé de réécrire celle-ci comme il l’avait à Lyon pour L’Enlèvement au sérail de Mozart (voir ici). Belle idée que ces costumes et coiffures renvoyant à un univers où l’humain participe du végétal, du minéral  et de l’animal, bonne idée aussi que de créer dans le chœur des rapports de masse intéressants, même si (manque d’habitude ?) on assiste par moment à des défilés rappelant l’opéra… en 1936. Bonne distribution (avec Anne Sofie von Otter en guest star) dominée par Christopher Maltman, Œdipe super-héros plus extraverti mais non moins impliqué (et quelle diction française !) que José van Dam au disque (EMI-Warner), sous la direction superlative d’Ingo Metzmacher, grand chef trop peu connu en France, lequel a déjà enflammé l’Opéra Bastille en 2019 dans la Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch.
François Lafon 
Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 14 octobre. En direct le 14 octobre à 19h30 sur Medici.tv et sur la plateforme numérique de l’Opéra national de Paris « l’Opéra chez soi ». En différé sur Mezzo Live HD le 17 octobre à 21h et sur France Musique le 30 octobre à 20h (Photo © Elisa Haberer / OnP)

mardi 21 septembre 2021 à 23h00
Ouverture de la saison au Théâtre de l’Athénée nouvelle direction (encore mâtinée de l’ancienne) : Concerto contre Piano et Orchestre, conçu par Samuel Achache, Florent Hubert et quelques complices perpétuant le nonsense très sensé lancé aux Bouffes du Nord par Crocodile trompeur (voir ici) et Orfeo, je suis mort en Arcadie. Soit un jeune orchestre, baptisé La Sourde (tel Beethoven) se réunissant autour (?) d’une soliste pour jouer le Concerto pour clavier Wq 43/4 de Carl Philipp Emanuel Bach, abondant en surprises et se singularisant par son style déroutant. Mais l’essentiel est ailleurs, exposé en prélude par un conférencier qui se révélera percussionniste, et qui pose en un discours drôle, fin et assez fumeux les questions cruciales : qui dirige quoi, qui est avec ou contre qui dans un concerto, pourquoi et comment ? C’est ce même orateur-musicien qui fera (toujours drôlement) dérailler le cérémonial du concert, où l’on assistera, de longueurs (à gommer) en raccourcis (pertinents), à l’histoire de la musique (plus ou moins) concertante de CPE Bach à nos jours. Chemin faisant, on pensera à Prova d’orchestra et au Concerto pour tuyau d’arrosage et cordes, tout en reconnaissant qu’il n’y a ici ni allégorie sociale comme dans le film de Fellini ni détournement d’instruments et effets de cirque comme dans la pièce de Gerard Hoffnung, que tout y est plus allusif et que ces fausses routes et dérapages sont d’autant plus délectables qu’ils sont exécutés avec le plus grand sérieux, voire le plus grand calme. Il va sans dire que, venus de divers horizons musicaux (et prenant un malin plaisir à y retourner), les membres de La Sourde sont remarquables de discipline et de virtuosité.
François Lafon
Athénée Théâtre Louis-Jouvet, jusqu’au 25 septembre (Photo © Joseph Banderet)

Ouverture précoce de la saison à l’Opéra de Paris-Garnier en même temps que lancement du Festival d’Automne 2021 : 7 Deaths of Maria Callas par Marina Abramovic. Nombreux points communs, outre une certaine ressemblance physique, entre la diva assoluta du lyrique et celle de l’« art corporel » (le corps comme matériau de l’acte artistique), à commencer par un jusqu’auboutisme dépassant la souffrance. De celle qui déclare : « Je suis intéressée par l’art qui dérange et pousse la représentation du danger », on attendait, à travers ces sept airs célèbres convoquant sept héroïnes sacrifiées sur l’autel du sublime, du sang et des larmes, débouchant - pourquoi pas? - sur une déconstruction/reconstruction du mythe Callas. Or c’est d'abord, commentée par elle-même d’une voix off nimbée de mystère, à une autocélébration de la performeuse que l’on assiste, au terme d’un défilé de valeureuses jeunes cantatrices (dont la Française Adèle Charvet) évoquant Tosca et Lucia, Carmen et Violetta devant un lit où repose Maria/Marina, le tout sur fond de projections géantes où, entre deux passages nuageux, la double diva accomplit son destin en compagnie du charismatique acteur Willem Dafoe. Rideau, applaudissements d’une salle justement ravie de ce digest de l’ « opéra où l’on pleure ». Mais voilà que viennent des loges des chœurs intrigants (musique de Marko Nikodijevoc), tandis que le rideau se relève sur la copie conforme de la chambre parisienne où Maria/Marina va vivre pour de vrai (plus vrai que les autres ?) ses derniers instants, reparaissant enfin en diva transfigurée. Double contentement du public (re)découvrant Maria et/ou Marina, ainsi que le chef Yoel Gamzou, dernier élève de Carlo Maria Giulini. Un signal en tout cas de l’ouverture de la maison à un nouveau public, que le nouveau directeur Alexander Neef appelle de ses voeux. 
François Lafon 
Opéra National de Paris – Palais Garnier, jusqu’au 4 septembre (Photo © Charles Duprat/OnP)

 

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