Double scoop de fin de semaine : la 3ème chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris déboute Jean Nouvel de sa demande de mise en état de la Philharmonie de Paris selon ses plans, et l’Inspection générale des finances blanchit Mathieu Gallet de toute responsabilité dans les disfonctionnements budgétaires qui ont alimenté la grève à Radio France. Il est vrai que la Philharmonie fonctionne, qu’elle ne désemplit pas depuis son ouverture en janvier et que l’acoustique de la grande salle est unanimement louée. Il est vrai aussi que les raisons de la crise de Radio France sont bien antérieures à la nomination de son actuel président. Il n’est pas moins vrai que la Philharmonie fait encore penser au restaurant ouvert trop tôt dans Playtime de Jacques Tati, et que l’on annonce une fermeture estivale destinée, entre bien d’autres choses, à procéder à d’importants réglages acoustiques. Il n’est pas moins vrai non plus qu’en dépit de résultats d’audiences (relevées au début de la grève) meilleurs que prévus, les antennes de Radio France doivent faire l’objet d’une vaste réflexion (et le numérique dans tout cela ?), que l’ouverture d’un luxueux auditorium n’a pas suffi à apaiser la toujours explosive rivalité entre les deux orchestres maison, et que la double dichotomie artistique-politique/culture-rentabilité n’a pas fini de mettre à mal la vocation vertueuse du « service public ». Que l’architecte dispendieux soit renvoyé à ses rêves et que le patron sans états d’âme soit soutenu par l’autorité est plus que jamais dans l’ordre des choses.
François Lafon
Menaces de grève, fermeture annoncée : le Metropolitan Opera de New York est au bord de la faillite. Responsable désigné, le directeur Peter Gelb, accueilli tel le Messie lors de son arrivée en 2006, rejeté aujourd’hui : 92% de fréquentation en 2007, 79% en 2012-2013, critiques hostiles, public déçu. Trou dans la caisse : trente millions de dollars. Solution selon la direction : une baisse des salaires de 16%. Contre-proposition du personnel : moins de productions, mais meilleures et moins onéreuses. Meilleures ? Question de goût, mais pas seulement : en 2009, rumeurs de fronde quand la Tosca à grand spectacle signée Franco Zeffirelli (1985) est remplacée par une nouvelle production due à Luc Bondy. En 2012, levée de boucliers devant La Tétralogie high-tech de Robert Lepage. Deux spectacles contestables (il y en aura d’autres) apportant de l’eau au moulin des traditionnalistes. Car c’est de cela qu’il s’agit. Riche, âgé et élitiste, le public du Met veut du luxe et des stars. Différence avec celui, non moins riche, non moins âgé, non moins élitiste mais soucieux de (relative) modernité qui donne le "la"dans les salles européennes. Autre différence avec l’Europe : ce sont des donateurs privés qui financent (ou non) l’entreprise, et pas l’état. En 2007, Gerard Mortier, grand prêtre de l’opéra revisité à l’européenne, accepte le poste de directeur du New York City Opera, seconde scène lyrique new-yorkaise. Il démissionne avant même de prendre ses fonctions. Raison officielle : il n’a pas obtenu le budget dont il avait besoin. Raison officieuse : Peter Gelb, nommé au Met un an plus tôt, occupe le même créneau réformiste. A la rentrée 2013, le New York City Opera a mis la clé sous la porte. A bon entendeur…
François Lafon
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Suite américaine aux déboires financiers de l’Orchestre de Philadelphie. Honneur, si l’on peut dire, aux Big Five (les cinq Grands) : le Chicago Symphony a enregistré un déficit de 15 millions de dollars pour l’exercice 2009 ; le Boston Symphony sauve les meubles, mais 5% du personnel a été mis à pied et les salaires ont été baissés de 10% et gelés pour deux ans ; l’Orchestre de Cleveland avoue un déficit d’exploitation de 2 millions de dollars. Courte grève des personnels. Plus grave, la situation des autres orchestres : Detroit termine une grève de six mois (perte globale, 54 millions de dollars, saison annulée) ; Baltimore baisse les salaires de 16,6% ; New York City Opera : Charles Wall, président du conseil d’administration, fait un don personnel de 2,5 millions de dollars ; Houston : plan d’économie de 900 000 dollars, mais déficit de 15 millions de dollars ; Rochester : économies drastiques imposées par Eastman Kodak, créateur de l’institution ; Colombus : bras de fer entre la direction et les employés, un million de dollars d’économie sur les salaires ; Milwaukee : 500 000 dollars d’économies ; Syracuse : annulation de la saison ; Nouveau Mexique : faillite en cours ; Louisville : seize permanents et seize intérimaires remerciés ; Honolulu : liquidation en 2010 mais rachat des actifs par des particuliers. Sponsors exsangues, envolée des frais fixes, mais aussi chute brutale des abonnements. La musique classique, gage d’ascension sociale, modèle culturel importé d’Europe, n’est plus en temps de crise un produit de première utilité. Ici, les budgets sont en berne mais la musique est subventionnée et l’on construit la Philharmonie de Paris. Pour accueillir les orchestres américains en tournée ?
François Lafon
22 935 euros de salaire mensuel en 2009 (71% de plus qu’en 2002), 44 000 euros de droits d’auteur pour la période 2002-2008, 60 000 euros pour la composition de l’opéra Scènes de chasse, 276 000 euros d’indemnité retraite (beaucoup plus que ne le prévoit la convention collective) : c’est ce qu’a gagné le compositeur et homme de radio René Koering en qualité de surintendant de la musique (Opéra + Orchestre) à Montpellier. A gagné, puisque M. le Surintendant, épinglé par la Chambre Régionale des Comptes de Languedoc-Roussillon à l’occasion d’un audit financier rendu public début novembre, et affaibli par la disparition de son ami Georges Frêche, président de la Communauté d’agglomération et du Conseil régional, vient d’annoncer sa démission, un an avant l’échéance de son contrat. Sa riposte « à la Frêche », dans Le Monde du 30 décembre, lui ressemble : "Je ne dévoilerai pas la feuille de paie de mes confrères qui ne dirigent pas un orchestre plus un opéra. Par ailleurs, j'ai lu quelque part les salaires versés par des institutions à des sportifs, qui bénéficient heureusement d'une certaine immunité auprès des journalistes..." Et d’ajouter que si 92,5% des ressources d’Euterp (la société regroupant l’Orchestre et l’Opéra) provenaient en 2007 non des recettes propres mais des subventions locales et nationales, c’est qu’ "Il est plus simple de donner les symphonies de Beethoven et les requiems habituels en y parsemant les Quatre Saisons et les Traviata que de faire entendre Gernsheim, Pizzetti, Xenakis ou Martin y Soler !" De fait, René Koeing était déjà doublé par son successeur, l’artiste polyvalent Jean-Paul Scarpitta, lequel était jusque-là salarié au titre d’artiste en résidence (3 600 euros par mois), sans parler de ses cachets en tant que metteur en scène (30 000 euros pour les représentations de Salustia, de Pergolèse, en 2008). Le plus remarquable, dans tout cela, ce n’est pas tant l’importance des sommes annoncées - enviables pour un salarié moyen mais peu étonnantes au regard des émoluments de bien des dirigeants d’entreprises - que l’insistance avec laquelle elles sont divulguées et pointées du doigt. Bienvenue dans l’ère de la transparence promise par WikiLeaks.
François Lafon
Le New York City Opera, qui vient de rendre publique sa feuille d’impôts pour l’année 2008-2009 (de septembre à septembre), accuse un déficit de 19,9 millions de dollars. Parmi ses débours, le site américain Bloomberg relève une somme de 400 000 dollars octroyée à Gerard Mortier : 65 000 dollars de salaire et 335 000 dollars de separation payment (indemnité de séparation). Embauché en février 2007 alors qu’il était directeur de l’Opéra de Paris, Mortier devait prendre les rênes de la seconde scène lyrique new-yorkaise à la rentrée 2009. Il a déclaré forfait en novembre 2008, au motif que le budget qu’on lui proposait n’était pas à la hauteur de ses ambitions artistiques. A la fin de sa période probatoire, il avait passé une semaine par mois à New York, voyageant en première classe (aller-retour sur Air France : 15 500 euros) aux frais de la maison. Pendant ce temps, les indemnités de départ de l’administrateur artistique et du directeur général du NYCO étaient revues à la baisse. Mortier, qui a depuis été nommé directeur du Teatro Real de Madrid, n’a donc pas tout à fait perdu son temps à New York. Il s’est surtout - et cela, c’est sans prix -, évité des désagréments artistiques qui n’auraient pas tous été dus aux restrictions budgétaires. Avec lui, le petit NYCO aurait montré au grand MET ce que c’était qu’un véritable opéra du XXIème siècle. Mais l’arrivée du moderne Peter Gelb à la tête du MET a modifié la donne. Mortier aurait eu encore plus de mal, dans ces conditions, à faire admettre aux sponsors que Saint François d’Assise, c’est plus glamour que La Tosca.
François Lafon
En Italie, quand l’opéra ne va pas, rien ne va. Or voilà que la première de Carmen est annulée à Bologne, que Turin déprogramme Le Barbier de Séville, que L’Or du Rhin risque de ne pas briller à la Scala de Milan, et qu’à Florence, Zubin Mehta dirige « Va Pensiero » pour les employés en grève au lieu de régaler le public chic de La Femme sans ombre de Richard Strauss. Le détonateur : un décret réduisant les dépenses des opéras de la Péninsule, et une mesure signée par le président de la République Giorgio Napolitano visant, d'après la presse à les privatiser. Mais qui voudrait acheter une institution en faillite ? Les quinze Fondazioni lyriques sont touchées, et cinq mille six cents emplois menacés. L’état compte ainsi économiser 260 millions d’euros par an, sans compter les 110 millions prodigués par les régions, les provinces et les communes. La raison : les théâtres italiens sont les moins rentables du monde, ils perdent tous les ans 2,7 millions chacun (dette cumulée : 300 millions), chaque spectacle est subventionné à hauteur de 135 000 euros, et l’ensemble coûte 400 millions par an aux contribuables. Le quotidien Il Giornale, dont Silvio Berlusconi est le propriétaire, se félicite de voir baisser les salaires et ironise sur l’« indemnité humidité » touchée par les musiciens quand ils jouent en plein air, la « prime armes factices » exigée par les figurants des Arènes de Vérone quand ils doivent manier poignards et épées, ou le « bonus langue » allégué aux choristes du San Carlo pour chanter ne serait-ce qu’un mot dans un idiome autres que l’italien. La première scène de Senso, le film de Luchino Visconti, se passe à la Fenice de Venise. On y voit une représentation du Trouvère tourner à l’émeute. Avis aux politiques !
François Lafon
Vous ne trouverez aucun article dans la presse sur la rencontre qui vient de se tenir à la Cité de la Musique de Paris et pour cause : les journalistes n’y étaient pas les bienvenus. Pourtant, de cette réunion sortiront les affiches des prochaines saisons des grands orchestres et salles de concert du monde. C’est la conférence annuelle (exclusivement réservée aux professionnels, bien entendu) de l’IAMA. Derrière cet acronyme anglais se cache l’International Artist Manager's Association, en bon français l’association internationale d’agents artistiques classiques. Pendant quelques jours donc, cette confrérie très fermée qui négocie au nom de chefs, chanteurs et solistes, rencontre les responsables de programmation des orchestres pour essayer de leur vendre leurs artistes. Rien à signaler donc, sauf que la filière a dernièrement connu quelques soubresauts : quand Gustavo Dudamel a quitté Askonas Holt, son agence de toujours, pour rejoindre Van Walsum (dirigée par par un ancien d’Askonas, Stephen Wright), cela a provoqué un véritable tremblement de terre. Mais c’est rare que les agents classiques soient ainsi mis en lumière : le mélomane ne se soucie pas d’ailleurs du contrat de Simon Rattle ou Anna Netrebko, alors que les cachets des stars du cinéma ou de la pop font la une de magazines, pour ne rien dire des salaires des footballeurs.
C’est un monde où l’on parle surtout l’anglais : les agences britanniques tels que Harrison Parrott, IMG Artists, Askonas Holt, Hazard Chase et américaines comme CAMI font la pluie et le beau temps dans le monde classique face à quelques poids lourds allemands (Konzertdirektion Schmid) et même français (Valmalete, Jacques Thelen). Mais l’avenir se prépare peut-être déjà : les agences chinoises pointent du nez quand ce ne sont pas les agences occidentales qui s’installent en Chine. Le pays au trente millions de pianistes sera demain le premier exportateur de talents musicaux.
Côté salle, le Festival de Pâques de Salzbourg est un rêve de milliardaire : des places à 1250 euros, le Philharmonique de Berlin dans la fosse, des spectacles grand-luxe dans la tradition instaurée par Hebert von Karajan, qui l'a créé en 1967. Côté coulisses, un thriller dur, façon Millénium. La semaine dernière, Klaus Kretschmer, le directeur technique, est découvert sous un pont, grièvement blessé. Il était suspecté d'avoir empoché 700 000 euros destinés à des cabinets de conseil. « C'est Michael Dewitte le responsable, avait-il déclaré, moi, je ne suis que la victime d'un dommage collatéral ». Michael Dewitte, directeur général du festival, est actuellement en fuite. Il aurait, lui, détourné 5% du budget global durant les huit dernières années, ponctionné les dons des sponsors, trafiqué les notes de frais, procuré un emploi fictif à son épouse, siphonné 300 000 euros versés sur un compte bancaire chypriote. Les cabinets d'audit Deloitte et Ernst&Young, chargés chaque année de vérifier les comptes du festival, n'avaient rien remarqué, jusqu'à ce que la direction fasse procéder à une enquête spéciale, chargée d'expliquer où étaient passés les deux millions d'euros manquant dans les caisses. Actuellement, huit têtes du Festival de Pâques sont en examen, et ce n'est peut-être pas fini, car le Festival d'Eté risque, lui aussi, d'être gangréné : « C'est comme les bombardements américains sur Belgrade, ironise Ioan Holender, le directeur de l'Opéra de Vienne, dont Salzbourg est presque la résidence estivale. Ils ont appelé cela des dommages collatéraux. Les deux festivals sont dans le même immeuble et ont la même infrastructure. Avec la meilleure volonté du monde, ils ne peuvent pas être séparés ».
Revenons côté salle. Le 27 mars, Simon Rattle, successeur de Karajan à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, dirige au Grand Festspielhaus Le Crépuscule des dieux de Wagner, dans la mise en scène de Stéphane Braunsweig, créée à Aix-en-Provence l'été dernier. Que raconte Le Crépuscule des dieux ? La fin d'un monde d'envie et de profit, et l'avènement d'une nouvelle ère. Karajan, qui avait créé le festival de Pâques pour y monter Wagner à sa façon et concurrencer celui de Bayreuth, n'aurait pas manqué de faire remarquer que, comme d'habitude, il avait tout prévu avant tout le monde. Aux dernières nouvelles, c'est Peter Alward, ancien directeur d'EMI Classics, qui occupera dès la semaine prochaine le fauteuil laissé vide par Michael Dewitte. « Je le connais depuis trente ans, a déclaré Eliette von Karajan, la veuve du maestro. Il est digne de confiance ». C'est tout dire !
La milliardaire Louise Nippert, âgée de quatre-vingt-dix-huit ans, vient de signer un chèque de quatre-vingt-cinq millions de dollars (cinquante-huit millions, cent-trente-neuf mille cinq-cent-trente-quatre euros et trente-neuf cents) destiné à renflouer l'Orchestre, l'Opéra et le Ballet de sa bonne ville de Cincinnati. Elle prend le relais d'un autre « ange des arts » de la capitale de l'Ohio, Patricia Corbett, disparue en 2008 à quatre-vingt-dix-neuf ans. On peut se moquer de ce mécénat d'un autre temps, considérer que le sponsoring d'entreprise ou la subvention d'état sont plus conformes à la morale et aux intérêts de la société moderne, on se dit que cela a tout de même de l'allure, et qu'il est plus classieux, quand on est à la tête d'un pactole, de subvenir aux besoins d'une grande institution culturelle qu'à ceux, pour prendre un exemple parmi d'autres, d'un ex-romancier devenu photographe mondain. On se demande aussi ce qu'en pense le chef Paavo Järvi, douzième Directeur musical de l'Orchestre de Cincinnati depuis 2001 et futur directeur de l'Orchestre de Paris.
560 000 Livres Sterlings (620 000 euros) : c'est la somme qu'en quatre ans d'activité, le directeur financier de l'Orchestre Philharmonique de Londres, un Australien de trente-cinq ans nommé Cameron Poole, a détourné à son profit. Son épouse, membre actif du Parti Conservateur et candidate aux prochaines élections, l'avait fait engager comme trésorier de la chorale de la Christ Church de Gipsy Hill, mais aucune plainte n'a été déposée de ce côté. L'affaire fait un certain bruit en Angleterre, d'autant que l'administrateur en question avait des allures de play-boy et menait grand train (on comprend maintenant d'où venaient ses ressources). En général, les Arsène Lupin modernes opèrent dans la finance (Jérôme Kerviel) ou le convoi de fonds (Toni Musulin), quand ils ne travaillent pas à l'ancienne, tels les orfèvres (en la matière) qui ont récemment braqué la joaillerie Chaumet. Tous font un tabac sur Internet. Qu'en sera-t-il de Cameron Poole ?
Selon les calculs de l'Observatoire de la musique, le mois de septembre n'a pas été très bon pour le disque. Le CD audio repasse sous la barre des quatre millions d'exemplaires vendus, la décroissance du marché sur les neuf premiers mois de 2009 s'élève à 12% en volume et 12,9% en valeur, bref, les galettes argentées s'enfoncent dans une crise personnelle commencée bien avant la Crise Générale. Et le classique dans tout ça ? Eh bien, il vivote. Il est le seul avec les variétés internationales à afficher quelques chiffres positifs (au milieu d'autres, qui ne le sont pas), alors que les variétés françaises continuent de plonger : un petit +3'5% de plus en volume de ventes… et un -4'9% en valeur, ce qui veut dire que l'on vend plus de disques classiques mais aussi meilleur marché. L'heure est au low cost.
Or que trouve-ton à la sixième place des ventes desdites variétés françaises, derrière Mika et David Guetta, mais devant Maurane et Johnny Hallyday ? Mozart, l'opéra rock, dont les ventes, bonnes depuis la sortie de l'album en avril dernier, ont été boostées (34 000 exemplaires vendus en septembre), par le succès du spectacle, qui joue actuellement les prolongations au Palais des Sports de Paris. Quel rapport avec le classique, direz-vous ? Mozart à la sauce Olivier Dahan (le réalisateur de La Môme) est une enfilade de chansons de laquelle émergent quelques harmonies d'époque. Certes. Mais il n'y a pas plus d'une dizaine d'années, la bande originale du film Titanic a fait exploser la niche classique, où elle avait bizarrement été rangée (il est vrai qu'on y entendait « Ce n'est qu'un au revoir… »), aux côtés des valses moulinées par André Rieu. On ne cherche donc même plus à la valoriser, cette petite niche ? Allez, let's think positive. Wolfgang devant Johnny, ça réchauffe ! Il en a d'ailleurs vu d'autres, le divin enfant. En 1925, Sacha Guitry en a fait une femme (la sienne, Yvonne Printemps), sur une musique de Reynaldo Hahn : énorme succès. Quant à l'Amadeus de Milos Forman, furieusement rétro vingt-cinq ans après sa sortie, il continue une jolie carrière en vidéo.
Le Landernau musical parisien en est encore tout retourné : le Concours Rostropovitch, tête de gondole depuis trente ans de l'Association pour la Création et la Diffusion Artistique (ACDA), a failli être annulé. Sueurs froides pour les violoncellistes, direz-vous, mais encore ? Mais encore c'est la faute à la mairie de Paris, qui a voulu baisser la subvention dudit Concours de 300 000 à 250 000 euros. Là, on sort du Landernau, d'autant que le fauteur de trouble n'est autre que Christophe Girard, Monsieur Culture à l'Hôtel de Ville, à qui l'on reproche avec insistance de préférer les coups médiatiques au travail de fond. En bref, les responsables de l'ACDA craignent qu'à terme, leur association se retrouve privée de subventions. « Vous n'avez qu'à trouver des mécènes », aurait rétorqué Girard, par ailleurs cadre dirigeant chez LVMH. En fin de compte, tout s'est arrangé, et le Concours a eu lieu. Mais la menace plane toujours : en termes de ratissage électoral, une compétition pour happy few sera toujours moins efficace que la Nuit Blanche ou la transformation de la Gaîté-Lyrique en temple des musiques actuelles. « Et la culture, la vraie ? » « Comment, la vraie ? Voulez-vous dire par là que le reste est faux ? » Déjà financièrement incorrecte, la niche classique va finir par se retrouver politiquement pas très nette. Et vous n'irez pas vous plaindre que le monde tourne à l'envers.