Mercredi 11 décembre 2024
Concerts & dépendances
mardi 16 avril 2024 à 12h25
La création française du Lac d’argent avait été assurée par Opéra Éclaté (Olivier Desbordes/Joël Suhubiette) en décembre 1999. Vingt ans plus tard, le Berlinois Ersan Mondtag signe un nouveau spectacle pour les Opéras de Gand et d’Anvers (où, un an plus tôt, il s’était fait remarquer avec Le Forgeron de Gand de Schreker) coproduit avec Nancy… qui a eu du flair ! On ne sait que louer dans ce spectacle – d’abord la partition, bien sûr, dopée aux mélodies entraînantes et capiteuses, entre veine populaire, ballade et oratorio, dévolues aussi bien à l’orchestre seul qu’à une série de chansons magnifiquement ciselées. Le texte de Georg Kaiser, ensuite, issu de l’expressionnisme certes, mais tourné vers un théâtre épique, à la fois satirique et féerique. Une ambiguïté et une drôlerie d’esprit surréaliste – l’ouvrage fut chahuté puis interrompu à sa création en 1933, l’année de l’accession de Hitler au pouvoir –, que le metteur en scène magnifie avec un spectacle plein d’imagination… quitte à en augmenter la durée de près d’une heure (!) en raison de séquences insérées en français, jamais redondantes ou déplacées, qui se marient judicieusement avec le propos de la pièce. Olim, officier prussien, tire sur Severin, qui a volé un ananas. Grâce à une grosse somme gagnée à la loterie, Olim rachète le château de Silbersee à un noble de Weimar. Bourrelé de remords, il y accueille Severin et prend soin de lui jusqu’à vouloir devenir son ami. Severin déprime et n’a qu’un but : se venger du policier… La gouvernante, Madame von Luber, qui appartient à la noblesse locale, exploite leur naïveté et réussit à les chasser du château : ils s’en échappent avec la volonté de se noyer dans le lac d’argent, sans y parvenir, car il est gelé. Le couple disparaît dans une lumière aveuglante sur cette ultime parole du chœur : « Tout n’est que commencement qui  se perd à l’orée du temps, comme finit la nuit en clarté dans une aube d’éternité ». Prenant à partie le public, celui de la salle et même celui de la célèbre place Stanislas où se situe l’Opéra, plusieurs séquences opèrent une distanciation brechtienne du meilleur effet, d’autant que le rôle d’Olim – formidable comédien Benny Claessens ! – se dédouble avec celui d’un metteur en scène qui hésite sur le bien-fondé de son spectacle…  Son « acolyte » Séverin, le jeune baryton Joël Terrin – grand dégingandé de deux mètres de haut, au moins ! – lui offre la réplique idéale, délirant et touchant comme le couple de la série Little Britain – Olim pourrait revendiquer la formule : « I’m the only gay in the village ». De la première scène avec ces êtres fantastiques et mutants à la Max Ernst – bras, jambes et yeux par trois – qui organisent « les funérailles de la faim », à ces pitoyables manifestants cagoulés et robots-médecins, en passant par le décor néo-égyptien futuriste où officie une Cléopatre / Madame von Luber dominatrice (Nicola Belier Carbone) ; des costumes toujours plus somptueux – hauts dignitaires chinois, pharaons, saints martyrs, cabaret (latex noir pour Olim, rose fuschia pour Séverin –, au plateau tournant final avec ses trois décors, ce Lac d’argent impressionne et tourbillonne, mené avec fougue par le chef d’orchestre Gaetano Lo Coco. Applaudissements à tout rompre… Sans hésiter l’Ananas d’argent du meilleur spectacle !                            
 Franck Mallet

• Der Silbersee (Le Lac d’argent) de Weill sur un livret de Georg Kaiser 
• Nouvelles représentations les mardi 16/04, jeudi 18/04 et samedi 20 à 20h.  

Photo : Le Lac d'argent © Jean-Louis Fernandez
 

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