Pour les fêtes au théâtre de l’Athénée, la compagnie Les Brigands (onze ans d’âge, d’abord composée de membres des Musiciens du Louvre en goguette) revient à ses fondamentaux avec Croquefer et L’Ile de Tulipatan, deux Offenbach de poche. Les principes maison – décalé, mais pas trop, subversif mais bon enfant – sont respectés. Salle bondée, rappelant que ce style so French ne demande qu’à être réactivé. Croquefer, parodie du style paladin (qui ne nous dit plus grand-chose), peine à trouver son rythme et sa folie, en dépit des clins d’œil répétés du metteur en scène Jean-Philippe Salério à Groland et aux Monty Python. L’Ile de Tulipatan, en revanche, marche tout seul. Musicalement sur-vitaminée, contemporaine (1867) des grands opéras-bouffes (La Périchole, La Grande Duchesse de Gérolstein), cette histoire de garçon élevé en fille qui en pince pour une fille élevée en garçon est faite sur mesure pour la troupe, menée par l’étonnant baryton à transformations Flannan Obé. Comme d’habitude, les voix passent ou cassent, et l’orchestre (dix musiciens) se démène comme cent. On vient aussi pour ce côté artisanal, artistiquement incorrect dans un monde lyrique obsédé par la perfection.
François Lafon
Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 13 janvier. Théâtre Municipal, Gray, 23 décembre. Le Fanal, Saint-Nazaire, 15 janvier. Photo © Claire Besse
Concert Ravel par l’Orchestre de Paris sous la pyramide du Louvre (mardi 18) et à la salle Pleyel (mercredi 19). Pierre Boulez, handicapé par une affection des yeux, est présent mais a passé la baguette au Finlandais Mikko Franck. Chaises musicales : Franck, qui lui-même annule souvent pour raisons de santé, est encore auréolé du succès d’un Tristan et Isolde, en octobre à Pleyel, où il remplaçait Myung Whun Chung. Son Ravel n’est pas boulézien : il est compact, coloré, spectaculaire. L’orchestre, sous haute tension, se surpasse. Entre un Alborada del gracioso électrique et un Daphnis et Chloé (ballet intégral, mais sans le choeur) en cinémascope, on oublie les efforts de la mezzo Nora Gubisch pour faire comprendre le texte de Shéhérazade. A la fin, Franck annonce le départ à la retraite du contrebassiste Bernard Cazauran, présent depuis 1967 (« Je n’étais pas né », précise-t-il). Fleurs, banderole : une fête de l’orchestre. Que le génie d’orchestrateur de Ravel cache un monde mystérieux, que les moments de tendresse ne soient pas des longueurs mais des pistes lancées par ce compositeur secret n’est pas à l’ordre du jour.
François Lafon
Concert (à Pleyel) diffusé en direct et accessible jusqu’au 19 juin 2013 sur Arte Live Web. Diffusé ultérieurement sur Mezzo. Photo © DR
Ouverture, avec les Vêpres de la Vierge de Monteverdi, de la saison du jubilé (850ème anniversaire) de Notre-Dame de Paris. Vingt-cinq concerts jusqu’à la création, en décembre 2013, de nouvelles Vêpres signées Philippe Hersant. Nef bondée, présence conjointe de Monsieur le Cardinal et de Monsieur le Maire (de Paris). Lionel Sow, chef de la Maîtrise de la cathédrale (et, depuis un an, chef du Chœur de l’Orchestre de Paris) est aux commandes. Gestique onctueuse mais précise, maîtrise de l’acoustique du lieu : stéréo réussie du double chœur, effets d’écho réglés au millimètre, alchimie savante des cordes et des cuivres (les très bons Sacqueboutiers de Toulouse), ballet impeccable des voix solistes (parmi lesquels l’excellent baryton Marc Mauillon). Un prodige dans cette nef gigantesque, où la bouillie sonore menace sans cesse le néophyte. Mais tout cela au détriment du grand théâtre initié par cette œuvre révolutionnaire, où Monteverdi abandonne les abstractions polyphoniques pour appliquer à l’église les mêmes principes (« seconde pratique », ou nouveau style) qu’à l’opéra naissant (son Orfeo date de la même année 1610). Une manière peut-être de rappeler qu’à Notre-Dame, on vient pour vénérer, pas pour faire la révolution.
François Lafon
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr Photo © DR
Pourquoi pas Mozart comme soutien de l’UNICEF ? Cela s’est produit à la mairie du VIème arrondissement de Paris : concert au profit du fonds des Nations Unies pour l’enfance et en particulier d’UNICEF France, avec au programme quatorze extraits de Cosi Fan Tutte allant de l’air au sextuor en passant par le duo, le trio et le quintette. Six chanteurs en tenue de ville évoluent dans la salle des fêtes, l’orchestre est réduit à deux violons, un alto, un violoncelle et un pianoforte, se produisent des membres de l’Atelier Lyrique d’Opera Fuoco. Créé en 2003 par David Stern, Opera Fuoco est en résidence à Saint-Quentin-en-Yvelines. C’est justement là qu’en mars 2013 sera représenté Cosi Fan Tutte. La musique de Mozart est telle que même dans la salle des fêtes du VIème, elle ne perd rien de son impact dramatique : superbe sextuor du Ier acte ! Il faut bien sûr, ce qui était le cas, des interprètes à la hauteur et surtout engagés. Il n’y a pas lieu ici de chanter les louanges de chacun des onze, mais bien de rappeler qu’une soirée comme celle-là ne saurait être considérée comme une préparation à un événement plus sérieux - ou plus officiel. Elle existe en soi, et dans une mairie comme dans une grande salle de concert, on peut ressentir fortement enthousiasme et émotion.
Marc Vignal
Paris, salle des fêtes de la mairie du VIème, jeudi 13 décembre 19h30
C’est la dolce vita dans la salle, sur fond de variétés des années 60 et d’une vidéo de souvenirs de vacances, deux enfants dansant sur l’avant-scène. Warlikowki l’annonce avant que le spectacle ne commence : il montrera ce que Cherubini et Hoffman ont laissé offstage, l’ambiance festive de cette journée de mariage dans une Corinthe transportée au Lido d’Ostia. Cet éclairage ne fera qu’accentuer, peu à peu mais avec quelle sûreté, la noirceur du drame qui se déroule sur scène et s’intensifie à mesure que le personnage de Médée s’épaissit. D’épouse trompée (Jason est alors ingrat) en mère dépossédée (Jason est dès lors cruel) sous la plume plus de plus en plus acérée du librettiste et celle, nerveuse, du compositeur, ces noces mortelles imposent une expérience physique au spectateur. Coup de maître pas seulement visuel, le dépoussiérage de l’œuvre est général. En fosse, Christophe Rousset s’empare de cette partition toute en tensions, aux ouvertures amples et riche en originalités, surtout du côté des vents où les bois dominent : quelle belle introduction à la flûte de cet Hymen, viens dissiper une grande frayeur (Dircé) et au basson, qui se transforme en basson obligé, de Ah! nos peines seront communes (Médée). Décapage côté texte, les dialogues parlés ayant été entièrement ré-écrits dans un français actuel et cru au point de déclencher des huées, divisant la salle entre applaudissements enthousiastes et lazzis dont on regrettera simplement qu’ils furent si dénués de panache. Dépoussiérage surtout côté interprètes. Car c’est une autre réussite de cette production que de se placer ainsi sous le culte du corps. Tous y participent, mais, soutenue par Vincent le Texier (Créon), John Tessier (Jason) et Varduhi Abrahamyan (une Néris bouleversante dans Ah! nos peines seront communes) Nadja Michael, ex-nageuse de compétition, ex-mannequin, incarne une forme achevée (et définitive ?) du jusqu’auboutisme sensuel et acéré. La scène finale, l’infanticide consommé, tonne comme une porte qui claque. C’est d’ailleurs ce claquement final qui laissera l’audience sans voix.
Albéric Lagier
Théâtre des Champs Elysées, 12, 14 et 16 décembre 2012. DVD paru chez Bel Air CLassiques Photo © DR
Reprise, à l’Athénée, du spectacle Cocteau-Poulenc déjà donné en février 2011 (voir Musikzen : Gare au blues !) Seule en scène avec le pianiste Pascal Jourdan, la mezzo Stéphanie d’Oustrac conjugue à trois temps le verbe abandonner : La Dame de Monte-Carlo, vieille joueuse lâchée par la chance, Lis ton journal, issu du monologue Le Bel Indifférent, La Voix humaine, ou comment l’invention du téléphone a enrichi l’arsenal de la torture amoureuse. Un univers sentant la naphtaline et le 5 de Chanel, un pendant aux Enfants terribles version Phil Glass, joué le mois dernier dans ce même théâtre. Comédienne (Lis ton journal est un monologue parlé) autant que chanteuse, Stéphanie d’Oustrac s’y révèle en tout cas de l’espèce des divas mutantes, dont Natalie Dessay est l’exemple plus médiatisé. Un rêve d’opéra que Poulenc avait réalisé en rencontrant Denise Duval, ex-pensionnaire des Folies-Bergère devenue son interprète de prédilection.
François Lafon
Au théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au décembre. Photo © DR
Nouvelle présentation de Carmen à l’Opéra Bastille. Les deux premières (1993 – 1997) étaient ratées, celle-ci semblait sans danger : chef aguerri à ce répertoire (Philippe Jordan), metteur en scène « du juste milieu » (Yves Beaunesne), protagonistes ayant fait leur preuves dans leurs rôles respectifs (Anna Caterina Antonacci, Nikolaï Schukoff). Idée phare de Beaunesne, transposer l’action à l’époque de la Movida, avec clins d’œil aux films d’Almodovar : costumes décalés, drag-queen imitant Rossy de Palma, Micaela en écolière à bicyclette, Carmen en Pénélope Cruz peroxydée montée sur talons aiguilles, Escamillo déguisé en Roberto Alagna chantant Luis Mariano. Mais n’est pas Almodovar qui veut et Carmen n’est pas La Loi du désir : dans un décor figurant un hangar à moitié construit (ou à moitié démoli ?) l’œuvre est jouée comme d’habitude, un folklore en remplaçant un autre. Bons points : l’orchestre, somptueux, Ludovic Tézier, Escamillo bien-chantant (une rareté), les petits rôles, bien tenus. Mauvais points : Schukoff en petite voix, Antonacci beaucoup moins à l’aise qu’avec John Eliot Gardiner dans le cadre intime de l’Opéra Comique, scène finale (Don José étranglant Carmen avec la robe de mariée de sa mère, qu’il a apportée dans une valise en carton) déchaînant les huées. A partir du 20 décembre, le rôle-titre sera repris par Karine Deshayes. Une nouvelle chance?
François Lafon
Opéra de Paris Bastille, jusqu’au 29 décembre. Retransmission sur France Musique le 22 décembre. Représentation du 13 décembre diffusée en direct dans 26 salles UGC (France et Belgique), 40 cinémas indépendants (France) et 150 cinémas en Europe. Photo © Opéra de Paris/Charles Duprat
Reprise, au Palais Garnier, de La Cenerentola de Rossini dans la production historique (1968) de Jean-Pierre Ponnelle, donnée pour la première fois à Paris la saison dernière. Distribution moyenne, direction sans tonus, scories multiples grippant la mécanique rossinienne. Du coup, la mécanique ponnellienne grippe elle aussi. Adulé de son vivant, ce Français de culture et d’esthétique germanique, musicien consommé (il avait été l’élève d’Alfred Cortot) avait pour idéal de traduire la musique en mouvement, d’être scrupuleusement en empathie avec elle. Cela pouvait être, selon les œuvres, fascinant ou fastidieux. Il représentait, en tout cas, l’antithèse du mouvement lancé à l’époque par des metteurs en scène venus du théâtre, souvent moins musiciens que lui, mais habiles à manier la dialectique, et soucieux avant tout de faire avouer aux œuvres leurs intentions cachées. C’est ce courant qui a gagné, jusqu’aux actuels tops et flops du regietheater. Ponnelle en héraut d’un opéra consensuel. Lui qui aimait tant bousculer les habitudes du public huppé des grands festivals...
François Lafon
Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 26 décembre, et du 27 février au 25 mars. Cette Cenerentola, filmée en 1981 à la Scala de Milan avec Claudio Abbado au pupitre, est disponible en DVD Deutsche Grammophon.
Photo © Opéra de Paris