Mardi 19 mars 2024
Concerts & dépendances
dimanche 30 septembre 2018 à 00h06
Création mondiale à l’Opéra de Paris – Garnier : Bérénice de Michael Jarrell d’après Racine, dans le cadre du cycle « littérature française » inaugurée en 2017 avec Trompe-la-Mort de Luca Francesconi (voir ici). Des deux options – polir le marbre (ce qu’avait fait Alberic Magnard dans sa bien oubliée Bérénice – 1911) ou le casser -, le compositeur de Cassandre – impressionnant monodrame pour actrice et orchestre (voir ) - a bien sûr choisi la seconde : actions simultanées, texte concassé (voire réécrit) en écho à la remarque de Paul Valéry : « Le vers (…) exige (…) une certaine union très intime de la réalité physique du son et des excitations virtuelles du sens ». D’où ce palais classique en trois salles, où les grands de ce monde vont – subtil contraste – vivre l’enfer du mal d’amour au mépris de toute étiquette. Une alternative radicale, qui n’empêchera pas les gardiens du temple racinien de crier au blasphème : plus de digne souveraine, plus d’empereur hésitant (ou jouant à hésiter selon Roland Barthes – Sur Racine, 1963) entre son cœur et sa raison, plus d’amoureux transi (Antiochus) terminant la pièce sur un « Hélas ! » qui résume tout, mais trois corps souffrants, trois voix arrachant les mots qui font mal à leur sublime contexte, le tout porté par une houle orchestrale aussi raffinée que menaçante. Même dynamitage pour les confidents, Arsace agité excitant par contraste le spleen d’Antiochus, Albine s’exprimant en hébreu, rappelant à Bérénice son statut de reine de Judée haïe des Romains. Direction rigoureuse de Philippe Jordan, formidable trio de comédiens-chanteurs – Barbara Hannigan, Bo Skovhus, Ivan Ludlow – dirigé au cordeau par Claus Guth, plus littéral, sinon plus sage que dans sa « Bohème sur la Lune » de la saison dernière. Même si tout cela n’attaque pas durablement le marbre racinien, le défi inspire le respect. 
François Lafon

Opéra National de Paris – Garnier, jusqu’au 17 octobre (Photo © Monika Rittershaus / OnP)

samedi 29 septembre 2018 à 00h57
Rentrée contrastée à l’Opéra de Paris : Les Huguenots de Meyerbeer et Bérénice de Michael Jarrell, une résurrection et une création.  Donné 1118 fois en un siècle (1836-1936), détrôné seulement par le Faust de Gounod, Les Huguenots ne reparaît qu’aujourd’hui dans sa maison-mère, longtemps victime de la « malédiction Meyerbeer » - celui-ci aussi négligé qu’il a été adulé, traité de bon faiseur, au mieux d’inspirateur de génies (Verdi, Wagner, Moussorgski même) influencés par le grand opéra à la française dont il a été le champion durant la monarchie de Juillet. A écouter ces quatre heures de musique (on nous épargne le ballet) aussi éclectique qu’inventive, à suive ce mélodrame dont la Saint-Barthélémy n’est pas que la toile de fond (Scribe, le librettiste, nous ferait presque croire que ce sont les amours contrariées de son héros Raoul de Nangis qui ont déclenché le massacre), on se demande quel sortilège s’est rompu, pourquoi l’on est tenté de ne voir que des ficelles là où nos ancêtres voyaient la vérité même : « La scène se passe devant vous et en vous (…) Quant aux moyens, personne n’y songe », résumait Théophile Gautier. En 1990, pour l’ouverture du Corum de Montpellier, l’intrigue était transposée dans l’Irlande de l’IRA. Ici, le metteur en scène allemand Andreas Kriegenburg a évité le piège : « La mode, la politique, mais aussi l’horreur et l’épouvante semblent condamnées à se répéter », observe-t-il. Exeunt les fastes historicisants dudit grand opéra, au profit d’une démonstration un peu froide, formant contraste avec le too much audio et visuel caractéristique du genre : un fond blanc et des costumes colorés, d’époque mais stylisés, évoquent « un laboratoire dans lequel les humains sont davantage présents ». Distribution sans superstar (Diana Damrau a annulé), pas indigne cependant des « sept étoiles » requises autour du ténor Yosep Kang (Bryan Hymel a annulé aussi) - suraigu pas toujours assuré, mais beau style et payante conviction. Gros succès pour l’Américaine Lisette Oropesa (la remplaçante de Damrau) en future reine Margot vocalisante, pour Ermonela Jaho en amoureuse aux moyens plus dramatiques (une « Falcon » en jargon de chanteurs), pour Karine Deshayes en page épisodique, pour des « clés de fa » sans faille, dont les excellents Paul Gay (pourquoi l’entend-on si rarement ?) et Florian Sempey ainsi que pour les chœurs, fortement sollicités. Au pupitre, Michele Mariotti gère supérieurement le temps meyerbeerien, saturé d’événements en même temps qu’étiré à l’extrême.
François Lafon 

Opéra National de Paris - Bastille, jusqu'au 24 octobre. En direct au cinéma et sur Culturebox le 4 octobre. En différé sur France Musique le 21 octobre à 20h et sur France 3 ultérieurement (Photo © DR)
 
Dîner avant ou après le spectacle est une coutume bien ancrée ; en revanche, que le public soit invité à passer à table sur scène, qu’il assiste à la préparation d’étranges mets en musique, et qu’ensuite il se régale de ce repas… servi par les musiciens a de quoi surprendre. Sympathique, drôle (et même convivial, si le mot n’était si galvaudé), cette Tentation des pieuvres, « création pour un cuisinier, quatre musiciens et cent convives » excite autant les oreilles que les papilles. Plongé dans le noir aussitôt assis et attablé, le public glisse doucement dans un imaginaire de cliquetis d’instruments métalliques (Philippe Foch, batterie et percussions dorsales sur cuisinier consentant), de nappes de synthé voluptueuses (Christian Zanési, à l’électro), de cordes vibrionnantes (le violoncelliste Didier Petit) – le tout mitonné par Maguelonne Vidal, prêtresse des hauts fourneaux, de la composition, du rythme, de la voix câline et des saxophones. Mais ce spectacle aux saveurs et aux mets délicieux ne serait rien sans le chef Claudius Tortorici, qui émince, coupe, rissole et prépare son aïoli – au fouet électrique – au centre de la scène sur une grande table de découpe, afin de servir en apothéose sa bourride de petites seiches accompagnée d’un vin blanc « local » bio – nous étions à Orléans, mais en réalité le choix s’était porté sur un muscadet nantais ! À la croisée des styles (contemporain, improvisation, jazz et théâtre), la performance de Marion Vidal, formée auprès de Bernard Lubat, Dave Liebman, Raymond Boni et Joëlle Léandre, joue sur plusieurs registres avec candeur. Sans jamais se couler dans un style, elle immerge l’auditeur dans un surprenant bain olfactif et acoustique – amplification et diffusion octophonique –, qui a plus à voir avec un délire réjouissant à la Dali qu’avec une installation mortifère à la Sophie Calle. Une repasse ? 
Franck Mallet
 
Orléans, Théâtre, vendredi 21 septembre, 20h30 (Photo © Cyrille Guir)
 
Prochaines représentations :
Festival Musiques Démesurées, Clermont-Ferrand, 10 novembre, 20h
Festival Aujourd’hui Musique, Perpignan, 19 et 20 novembre, 19h
Rencontres internationales du théâtre musical, Nouveau Théâtre de Montreuil, 30 novembre et 1er décembre, 18h30
Philharmonie de Paris, Cité de la musique, 16 décembre, 16h et 21h
Scène nationale de Mâcon, 18 janvier 2019, 20h30
Festival Sons d’Hiver, Grand-Quevilly, 31 janvier et 1er février 2019, 20h 
samedi 22 septembre 2018 à 01h48
Dans la salle géante de la Seine Musicale (4000 places) : "Le Sacre de Stravinsky" par Bartabas et l’Académie équestre de Versailles, avec le Philharmonique et le Chœur de Radio France dirigés par Mikko Franck. Un remake de Triptyk, où Pierre Boulez tenait la baguette (ou plutôt ne la tenait pas, puisqu’il dirigeait sans), succès de l’année 2000 vu entre autres dans un hall non moins géant du Parc des expositions de Villepinte. Du spectacle originel subsiste le diptyque Sacre du printemps/Symphonie de Psaumes, le Dialogue de l’Ombre Double (Boulez) - lien intimiste entre les deux blockbusters - ayant malheureusement disparu. Chorégraphie revisitée pour Le Sacre, avec une troupe de danseurs indiens de Kalarippayat virevoltant au milieu des amazones à cheval. Moment fort : le début de la seconde partie ("Le Sacrifice"), où trois pur-sang blancs dansent (mais oui) avec une grâce sans pareille. Ballet blanc pour la Symphonie de Psaumes, très esthétique mais sans ressort dramatique (« Désir irrésistible de faire opposition aux nombreux compositeurs qui avaient abusé de ces vers », dit Stravinsky), sinon la façon dont une acrobate aérienne atteint lentement le sol tandis qu’une douzaine d’hommes (et femmes) - chevaux se livrent à un exercice de haute école. Pour cette dernière, Mikko Franck joue le jeu du grand spectacle (mais l’orchestre et le chœur ne sont apparemment pas amplifiés) là où l’on attend une plus grande intériorité. Son Sacre est plus étonnant : à l’éternelle question « Est-ce là une version dansable ? », il répond en chef de théâtre, montrant que cette musique qui se suffit si bien à elle-même est avant tout un géniale machine à communiquer de l’énergie. Salle presque pleine pour les cinq représentations prévues. 
François Lafon

La Seine Musicale, Boulogne-Billancourt, jusqu’au 26 septembre (Photo © A. Poupel)

samedi 15 septembre 2018 à 01h52
Concert d’ouverture de la saison à l’Arsenal de Metz : nouveau chef, nouveau nom pour l’Orchestre Philharmonique de Lorraine, devenu National de … Metz, et non - eu égard aux autres phalanges de la région - Orchestre du Grand Est, comme prévu un moment. En succédant au Messin Jacques Mercier, directeur musical seize années durant, le jeune Belge David Reiland trouve un instrument en bonne forme : sonorité, dynamique, cohésion, équilibre entre les pupitres (les bois !), le tout façonné et mis en valeur par l’acoustique du lieu, superbe auditorium « boîte à chaussure » (forme traditionnelle aujourd’hui supplantée par le style enveloppant façon Philharmonie de Paris). Programme test pour l’orchestre et son chef, choisi à la suite de trois concerts « coups de foudre » : précision rythmique mais aussi « songes enfin réalisés » (Debussy) du Prélude à l’après-midi d’un faune, élégance classique d’un 12ème Concerto pour piano de Mozart avec un Lucas Debargue moins torturé mais non moins cérébral que de coutume (il donnera en bis un Scarlatti augurant bien de son prochain CD), « volupté sonore et goût du silence » du Japonais Toshio Hosokawa dans Blossoming 2 (2011), préludant à une 3ème Symphonie « avec orgue » de Saint-Saëns mettant en avant les ressources sonores de l’orchestre. Gestuelle expansive mais claire du chef dirigeant sans baguette, Finale de la Symphonie bissé, permettant de réentendre Olivier Vernet (orgue) mettant littéralement le feu à l’orchestre. Nombreux décideurs et programmateurs dans la salle, ce qui ne trompe pas.
François Lafon

Cité Musicale de Metz, Grande salle de l’Arsenal, 14 septembre (Photo © DR)

Vers 1900 naît à Vienne une musique source de scandale. Mahler compose puis orchestre ses quatre « Chants d’un compagnon errant » avant son arrivée dans la cité en 1897 comme directeur de l’Opéra impérial et royal, mais  ces lieder de jeunesse (ainsi que toute sa production) seront vénérés par la génération viennoise montante. Schönberg en dirige le 6 février 1920 une version pour orchestre de chambre avec piano et harmonium (due très probablement à lui-même) dans le cadre de sa Société d’exécutions musicales privées. C’est par cette version qu’a débuté à La Chaise Dieu le concert de l’ensemble Voix étouffées / Les Métamorphoses, fondé en 2005 par le chef d’orchestre Amaury du Closel pour rendre hommage aux compositeurs victimes du nazisme. Suivaient, d’Alexander von Zemlinsky, considéré par Schönberg comme son seul « professeur », les Six mélodies opus 13 sur des poèmes de Maeterlinck : climat de féerie, de spiritualité et de mort. Face au nazisme, Schönberg et Zemlinsky s’exilent aux Etats-Unis, l’un en 1933, l’autre en 1938 (il y meurt en 1942 pauvre et oublié). Franz Schreker, lui aussi juif, est démis de son poste de directeur de l’Académie des Arts de Berlin, où il a fait nommer Schönberg, et s’éteint en 1934. Il triompha dans l’opéra. La Symphonie de chambre pour vingt-trois instruments dont piano, harpe, célesta et harmonium (1917), une de ses rares grandes pages instrumentales, prolonge en quelque sorte l’opus 9 de Schönberg. Concert captivant, astucieusement programmé, clos après la symphonie de chambre par cinq mélodies du même Schreker, chantées comme celles de Mahler et de Zemlinsky par le baryton coréen Jiwon Song, lauréat de plusieurs concours.
Marc Vignal
 
Abbatiale Saint-Robert, 25 août (Photo © B. Pichène)

 

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