Mardi 8 octobre 2024
Concerts & dépendances
Austère, Vézelay ? Sa basilique, ses sœurs tout de bleu vêtues et ses offices religieux trois fois par jour pourraient le laisser penser, mais les Rencontres musicales ont assorti leurs concerts officiels de manifestations « off » : animations qui investissent jardins, places et autres lieux exceptionnels comme celui des Fontaines salées, à Saint-Père sous Vézelay, site archéologique vieux de plus 4500 ans. Gros succès pour Garçons s’il vous plaît, trois « serveurs vocaux » a cappella, découverts sur internet par Nicolas Bucher (directeur de la Cité de la Voix) et aussitôt programmés à Asquins, Vézelay et Saint-Père. Drôles, spirituels et surtout excellents chanteurs, ils revisitent un vaste répertoire, de Trenet aux Jacksons 5. Il fallait les voir danser et jouer avec le public  dans une irrésistible version de I Want You Back, tube Motown des années soixante-dix ! 
Vendredi soir, le chef Loïc Pierre supervisait pour son chœur Mikrokosmos une chorégraphie tout aussi surprenante. Avec un choix d’œuvres des XXe et XXIe siècle – pour la plupart profanes – prises chez Meredith Monk, Poulenc, Peter Warlock, Veljo Tormis et Grieg, plus quelques autres moins connus, Mikrokosmos crée une « Nuit dévoilée » non pas tant sur scène qu’autour du public : derrière, sur les côtés ou de face. Mouvements tournants, effets de perspectives visuels et sonores et éclairages ad hoc : la basilique se prête à de multiples configurations pour restituer au mieux le souffle tellurique de l’Estonien Tormis (Laine veereb), le chant bucolique du Britannique Warlock (The full heart), la sensualité de Poulenc (extraits de Figure humaine) comme les joyeuses scansions de l’Américaine Monk – Plague, Jewish storyteller/Dance/Dream. Là encore, succès bien mérité pour les chanteurs aguerris de Mikrokosmos qui, grâce à leur mise en scène savante, plaçaient l’auditeur au cœur de la voix.
Franck Mallet
 
27 août, Vézelay, basilique Sainte-Marie-Madeleine. (Photo : Mikrokosmos©Valentine Poutignat)
 
Pour rejoindre Avallon, seconde étape des Rencontres musicales, on quitte les hauteurs de Vézelay pour longer le sous-bois en lacet qui borde la rivière, avant d’atteindre les remparts de la vieille ville menant à la collégiale Saint-Lazare, où Damien Guillon et son Banquet Céleste officient dans Pergolèse, Vivaldi et Bach.   
Elégance, simplicité et phrasé impeccable : le timbre de Damien Guillon est pur enchantement dans le Nisi Dominus RV. 608 de Vivaldi et le Psaume 51 BWV 1083 de Bach, chanté en duo avec la soprano Céline Scheen. Italie encore, puisqu’au cours de ces années 1740, doublant la partie vocale et enrichissant la basse continue de son psaume, Bach s’inspire du Stabat Mater de Pergolèse. Un programme qui, hormis le Salve Regina de Pergolèse ouvrant ce concert, reprend exactement celui de son récent CD (Glossa, 2016). Toujours aussi égal dans l’art des aigus les plus fins (Vivaldi !), le contre-ténor ajoute une émotion et une fragilité, là où parfois ses confrères se perdent en afféteries ; globalement plus nerveux mais tout aussi homogène, le Banquet Céleste voit son équipe très renouvelée, à l’exception de Kevin Manent-Navratil, qui jongle avec autant de dextérité entre le clavecin et l’orgue, et le luthiste André Henric. On apprécie la nouveauté de ce duo entraînant constitué des violonistes Joanna Husza et Marieke Bouche, que le contre-ténor et chef a associé à l’altiste Michel Renard, au violoncelliste Julien Barre et à la contrebassiste Élodie Peudepièce. Légère déception en revanche avec le soprano de Céline Scheen qui manque d’assise, malgré des aigus performants, d’où un Pergolèse un peu contrit, heureusement contrebalancé par l’intensité majestueuse des deux voix solo dans le Psaume 51, pour conclure ce récital « Bach & l’Italie ».            
Franck Mallet
 
 25 août, Avallon, collégiale Saint-Lazare (Photo, de gauche à droite : Céline Scheen, Damien Guillon et Élodie Peudepièce ©Adeline Lhermite)
 
« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » : appliquée aux XVIIIème Rencontres musicales de Vézelay, cette fameuse formule du chimiste Lavoisier révélait plusieurs élixirs de choix, dont les Vêpres à la Vierge Marie de Philippe Hersant, arrangées pour chœur et orgue. Cette partition jubilatoire est en passe de devenir l’une de ses œuvres phares, au vu du nombre de ses reprises, depuis sa création à Notre-Dame (Paris), en 2013. Après Vézelay, le compositeur reprenait d’ailleurs le train pour assister à une exécution par les mêmes interprètes le surlendemain, au Puy-en-Velay !  Mathieu Romano, chef du chœur Aedes et son fondateur a souhaité partir en tournée avec cette partition, dont il apprécie la profondeur et cette référence au passé - les Vêpres de Monteverdi en particulier. Rejoints par Les petits chanteurs de Lyon (maîtrise refondée en 1974 par Thibaut Louppe, maître de chapelle de la cathédrale Saint-Jean Baptiste de Lyon), et l’organiste Louis-Noël Bestion de Camboulas, le chef d’orchestre et son ensemble bénéficiaient de l’acoustique exceptionnelle de la basilique. Sur une péroraison répétitive à l’orgue de flûtes et de piccolo avec basse obstinée (Toccata et invitatoire), l’œuvre transporte dès les premiers instants avec son allégresse primesautière. Le compositeur s’amuse des effets de profondeur entre les timbres inusités de l’orgue solo et la souplesse du chœur rompu aux répertoires anciens et contemporains. Plus encore que dans le CD réalisé à la suite de la création (Maîtrise de Notre-Dame, 2014 - voir ici), la maîtrise de Lyon apporte une densité et une présence saisissantes par la qualité de ses voix (Ave Maris Stella). On aurait aimé qu’un enregistrement préserve la jubilation grandiose de cette exécution mémorable, que Romano avait judicieusement fait précéder de chœurs signés Mendelssohn, Brahms, Reger et Bruckner – inspirés par la figure de la Vierge.     
Franck Mallet
 
24 août, Vézelay, basilique Sainte-Marie-Madeleine (Photo : Vézelay©Valentine Poutignat)
 
samedi 26 août 2017 à 01h45
Suite du marathon Sablé : orientalisme annoncé, mais surtout goûts réunis et musiques sans frontières. Dans l’église sans fioritures d’Auvers-Le-Hamon, Olga Pashchenko prend le relais du cycle Telemann avec les Fantaisies pour clavecin. Comme au pianoforte (CD chez Alpha – voir ici), l’élève surdouée d’Alexei Liubimov pratique la véhémence maîtrisée. Elle choisit parmi les trois fois douze pièces (deux séries « italiennes » – vif-lent-vif- encadrant une série « française » - lent-vif-lent) les plus étonnantes, voire les plus déroutantes : comme à la flûte (voir ici), fusion des genres et des cultures. A Brûlon (église Saint-Pierre et Saint-Paul, peinte à fresque), autre sorte d’austérité avec La Sultane par Christophe Rousset au clavecin et quatre membres des Talens Lyriques. Pas très orientale cette sonate en quatuor au ton dramatique de François Couperin, ainsi nommée en hommage à sa dédicataire la duchesse de Bourgogne, laquelle était apparue lors d’un bal costumée en sultane. Musique magnifique cependant, prolongée par L’Impériale (suite et sonade) où Corelli est salué au passage, et par la Suite d’un goût étranger de Marin Marais, où l’on défile sur la "Marche tartare", caresse l’"Arabesque" et se perd dans "Le Labyrinthe". Interprétation de grande classe (avec les violistes Atsushi Sakaï et Marion Martineau) dans des brumes viscontiennes commandées par le filmage pour Culturebox. Plus souriantes, Les Indes galantes de Rameau au Centre culturel de Sablé, grands débuts lyriques de la violoniste et désormais chef Stéphanie-Marie Degand avec son nouvel ensemble La Diane Française. Une version condensée de cet opéra-ballet dont le musicologue Benoît Dratwicki, lors d’une conférence aussi savante que souriante, a justifié la « géométrie variable » pratiquée tout au long de sa vie à éclipses. En fait une version de concert : presque plus un opéra, plus du tout un ballet, mais un plateau vocal sans faiblesse (formidables Mathias Vidal et Thomas Dolié), des personnalités fortes (la violoniste Alice Piérot, Violaine Cochard au continuo) tenues d’une main de fer à laquelle ne manque que le gant de velours dont le percussionniste Keyvan Chemirani donne une idée lors d’un final des « Sauvages » à faire danser les pierres.
François Lafon 

Festival de Sablé-sur-Sarthe, jusqu’au 27 août – La Sultane en replay sur Culturebox.fr - Les Indes galantes ultérieurement sur France Musique

vendredi 25 août 2017 à 02h16
Thème de l’année au festival baroque de Sablé-sur-Sarthe : l’orientalisme. Thème annexe : le 250ème anniversaire de la mort de Telemann. Héloïse Gaillard ouvre le ban avec les douze Fantaisies pour flûte solo, dans l’étonnante église Saint-Sulpice d’Avoise, romane et baroque à la fois, à l’acoustique propice (voûte en briques de bois), devant un superbe retable sculpté (et classé, insiste M. le Maire). Sur cinq instruments qui sont autant de voix - du sopranino au ténor - l’artiste arrache l’exercice à son austérité naturelle et déploie la large palette expressive et culturelle (toute l’Europe y passe) du grand rival de Bach. « Bon voyage » souhaite-t-elle en préambule : on aurait tort d’y voir de l’ironie. Le soir, à l’église Saint-Louis du Prytanée militaire de La Flèche, Bach lui-même avec la Messe en si mineur. Cadre imposant, digne de l’alpha et l’oméga de la musique, si ce n’est que le parti pris par le chef Itay Jedlin de donner le chef-d’œuvre dans la version minimaliste - et contestée - de Joshua Rifkin (une voix par partie, dix chanteurs, vingt-et-un instrumentistes) y fait hiatus. Mais la qualité des participants (le Concert étranger - beaucoup de Français tout de même), la flamme du maestro (le Masaaki Suzuki de demain ?) compensent le déficit sonore, réactivant le mystère de ce monument maintes fois repris et retouché, mobilisant les styles les plus inconciliables pour aboutir à un équilibre défiant l’analyse. D’orientalisme aujourd’hui, rien de plus que la "Grande suite rocaille" (en italien : rococo) proposé au Centre culturel de Sablé (moins propice au rêve) par le violoniste et chef Daniel Cuiller venu en voisin de Nantes avec son ensemble Stradivaria, trente ans tout juste. Bonne idée pour un anniversaire que ce pot-pourri : cérémonie turque (Lully, mais aussi Rebel – François et Jean-Féry –, et Francoeur), airs à la mode de Corrette (dont, bien-sûr, La Turque), Symphonie concertante du Chevalier de Saint-Georges (un Créole à la cour). Une leçon de style aux enchaînement facétieux, qui aurait gagné à être contextualisée, voire mise en scène. Boutade de Cuiller : « Sablé n’est pas encore La Folle Journée de Nantes, mais … ». Voire : cinq pleins jours baroques annuels, à qualité constante depuis 1978, qui dit mieux ? 
François Lafon

(Photo : Héloïse Gaillard © Festival de Sablé)

dimanche 13 août 2017 à 00h43
Festival de La Roque d’Anthéron, pile et face. Pile : activité de ruche dès le matin, master-classes publiques avec de jeunes ensembles, répétitions ouvertes des concerts du soir. Face : jauge pleine (deux mille deux cents sièges) pour la « Nuit du piano Chopin », autour des deux Concertos par l’Argentin Nelson Goerner, avec le jeune Lio Kuokman dirigeant le Sinfonia Varsovia. Double performance pour cet intellectuel du clavier au toucher magique. Le 1er Concerto commence savamment bridé : bel canto au piano, densité expressive alla Callas. Ce n’est qu’au final que sous ses allures de clergyman, Goerner s’enflamme, préfigurant, en seconde partie, un 2ème Concerto transcendant, culminant lui aussi dans un Allegro vivace final où l’orchestre, assez raide dans les interludes Mozart (Symphonie « Haffner », ouverture de Don Giovanni : pourquoi pas, mais aussi pourquoi ?) trouve enfin le galbe et le son nécessaires (superbe solo de cor). Bis inattendu : l’incroyable Etude pour la main gauche de Felix Blumenfeld (le professeur de Vladimir Horowitz), que Goerner transmue en expérience métaphysique. Aux antipodes stylistiques, mais pas si loin dans la finition et la concentration : Pierre Hantaï joue Bach et Haendel à l’abbaye de Silvacane. Foin des contraintes du temps : Hantaï explique, décrit, présente son clavecin (trois jeux), fustige les tousseurs (« un bruit de trompette, alors que l’instrument s’apparente à la voix humaine »), ajoute une petite suite de Haendel parce que « commencer par la 2ème Suite anglaise de Bach, ça ne va pas ». Il joue bien sûr comme un dieu, passant, au clavier comme en paroles, de la décontraction à l’intransigeance, avec la distance contrôlée du professeur auquel on ne tiendra pas tête. Ombre et lumière, soleil jouant sur les pierres du cloitre, juste image de ce festival créé et animé par René Martin (M. Folle Journée), événement international mais toujours rendez-vous de passionnés. 
François Lafon 

Festival de La Roque d’Anthéron, 12 août (Photo © Christophe Grémiot)

Doublé Chopin – Beethoven au festival de piano de La Roque d’Anthéron (37ème édition). « Chopin est d’autant plus méconnu que ses exécutants travaillent plus à le faire connaître », écrivait André Gide. Dans le cadre inspirant mais à l’acoustique traîtresse (le son sature vite) du cloître de l’abbaye de Silvacane, le jeune Israélien Iddo Bar-Shaï tente de saisir Chopin sous toutes ses faces, ravive les Mazurkas comme s’il les inventait, plie la 2ème Ballade à sa volonté dominatrice, pilote la Grande valse brillante op. 18 comme un bolide, pour retrouver ses marques en bis dans … Couperin, façon peut-être de rappeler – option très en cours en ce moment - que c’est dans cette filiation que réside le secret de cette musique. Le soir, sur la grande scène champêtre du parc du château de Florans, Lars Vogt dirige du clavier ses formidables musiciens du Royal Northern Sinfonia dans un programme Beethoven. Historiquement informés (cordes sans vibrato, tempos allants) mais sans dogmatisme ni maniérisme, son 2ème Concerto pour piano et – plus fort encore – le réputé insondable 4ème retrouvent la fraîcheur des premières fois. Une divine surprise annoncée en début de programme par une ouverture des Créatures de Prométhée tout en nerfs, et couronnée en bis par Vogt en solo dans l’Aria des Variations Goldberg de Bach, achevant de prouver que ce n’est jamais du trop que procède le mieux. D’ores et déjà, un des concerts de l’année. 
François Lafon

Festival de La Roque d’Anthéron, 11 août (Photo : Lars Vogt © Christophe Gremiot)
 
 

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