Festival d’Automne à la Bastille : Matthias Pintscher dirige Webern, Stravinsky et lui-même avec l’Orchestre de l’Opéra. Œuvres de jeunesse : Im Sommerwind est la première pièce pour orchestre de Webern, une « idylle » mahlero-strausso-debussyste où les prémisses de la raréfaction sonore à venir sont encore cachées. De même L’Oiseau de feu (ballet intégral) est un dernier coup de chapeau de Stravinsky à son maître Rimski-Korsakov. « Ma réflexion de chef d’orchestre est enrichie par mon propre processus d’écriture, et vice versa », remarque Pintscher. Cela se sent lorsqu’après Im Sommerwind, il dirige sa pièce Chute d’étoiles pour deux trompettes et orchestre, inspirée d’une installation du plasticien Anselm Kiefer mêlant argile et plomb, gravats et arbre déraciné. Le soin qu’il met à éviter le grand spectacle dans Webern se retrouve dans sa musique, à la fois description d’un paysage d’apocalypse et tentative de redonner une forme à un monde dévasté. Même impression dans L’Oiseau de feu, où la grisaille guette, balayée de soudains éclairs de poésie. L’Orchestre de l’Opéra y perd de sa superbe : fatigue entre Aida et Elektra actuellement à l’affiche, ou étonnement d’être dirigé comme la réunion de solistes de l’Ensemble Intercontemporain, dont Pintscher est le nouveau directeur (voir ici) ?
François Lafon
Opéra National de Paris - Bastille, 42ème Festival d’Automne à Paris, 30 octobre Photo © DR
A l’Opéra Bastille, Elektra de Richard Strauss dans la mise en scène de Robert Carsen (Tokyo, 2005, Mai Musical Florentin, 2008). Une arène de sable noir cernée de hauts murs, un ballet de servantes-clones d'Elektra formant chœur antique, un hommage à Pina Bausch sans Pina Bausch, esthétiquement séduisant, ponctué de moments forts, comme l’apparition de Clytemnestre sur son lit blanc porté comme un linceul. Pas de danse hystérique, pas de rires fous ni de dérapages gores, si ce n’est l’étrange scène d’amour d’Elektra avec un Agamemnon nu aux allures de Christ au tombeau. Impression tenace pourtant que le sujet n’est qu’effleuré, que les personnages ne sont que des motifs dans le tapis, que le cérémonial tient lieu d’analyse dramaturgique. Difficile, après la lecture au scanner de Patrice Chéreau (voir ici - Arte Live Web, jusqu’au 29 octobre. Bientôt, on l’espère, en DVD) de revenir à ces stéréotypes, fussent-ils artistement relookés. Perdues dans l’immensité, les voix sont désincarnées, elles aussi, comme abstraites. Dommage pour Irène Theorin, Ricarda Merbeth, Waltraud Meier surtout, si impressionnante dans le spectacle de Chéreau. Tout le théâtre est dans la fosse, où Philippe Jordan dirige un orchestre somptueux, traversé du souffle tragique et de la densité psychologique que la scène nous refuse.
François Lafon
Opéra National de Paris, Bastille, jusqu’au 1er décembre. En différé sur France Musique le 20 novembre Photo © Opéra
Pour la 850e anniversaire de la cathédrale, Musique Sacrée à Notre-Dame de Paris - structure créée en 1991 conjointement par l’Etat, la Ville de Paris et l’Association diocésaine de Paris - a passé commande à quinze compositeurs d’autant de pièces d’église, à savoir une messe brève et douze motets. L’ensemble, d’une durée de près d’une heure et demie et qui se situe dans la lignée séculaire des musiques de maîtrise, a été donné en création mondiale, cinq jours après un colloque au Collège des Bernardins, avec comme titre Le Livre de Notre-Dame. Il s’agit de pièces de difficulté moyenne et d’esthétiques très différentes pour chœur d’enfants avec accompagnement d’orgue, les compositeurs choisis n’ayant pas forcément une grande habitude de la musique liturgique. Certaines pièces sont en latin, d’autres en français, elles suivent le déroulement de l’année liturgique, et l’on espère qu’elles résonneront au fil des saisons en des lieux multiples. On pouvait craindre au début une certaine monotonie, mais on s’est vite senti rassuré, envahi par un sentiment sinon de piété, du moins d’élévation. Emilie Fleury était à la direction, Yves Castagnet et Denis Comtet à l’orgue de chœur. Les compositeurs ? Il faut les citer tous, ou n’en citer aucun. Impressionnante, la longue file d’attente à l’extérieur avant le concert, avec comme résultat une cathédrale archicomble. Faut-il s’en étonner ?
Marc Vignal
Notre-Dame de Paris, 22 octobre Photo © DR
Tout comme Lully puis Gluck, Spontini jeta en son temps les fondements de l’Opéra à la française. Admiré par Wagner et Berlioz, il confiait lui-même au premier que « depuis la Vestale, il n’a point été écrit une note qui ne fût volée à mes partitions. » De cet opéra entre deux époques, le Théâtre des Champs-Elysées offre une représentation entre deux eaux. Avec une mise en scène dépouillée à l’extrême, des décors et des costumes intemporels, ainsi qu’un beau travail de lumières, le metteur en scène Eric Lacascade privilégie la dimension sensuelle de l’œuvre – difficile de ne pas penser parfois, à l’Extase de Sainte Thérèse (du Bernin), visible à jet de pierre du temple de Vesta – et en oublie les tourments et les fureurs. Ermonella Jaho, en Vestale vers qui tous les regards se tournent, est à l’unisson : elle fait merveille dans les pianissimi (et aigus), mais manque de densité dans les passages en puissance (et graves). En revanche, son alliance avec la grande prêtresse (interprétée par Béatrice Uria-Monzon) fait de l’acte II le moment fort de la représentation. Côté homme, l’univers macho et bellâtre voulu sans subtilité par Eric Lacascade cultive à contre-emploi le ridicule. Si Jean-François Borras (Cinna) et Konstantin Gorny (Le Souverain Pontife) ont pour eux le timbre, la diction et le sens dramatique, Andrew Richard se contente de faire invariablement le cabotin, avec peu du reste. Les chœurs (Chœur Aedes) sont, avec le face à face du deuxième acte, la deuxième clé magique de cette soirée, laissant dans l’ombre une direction orchestrale (Jérémie Rhorer ; Le Cercle de l’harmonie) flottante, notamment dans les solos de vents.
Albéric Lagier
Théâtre des Champs Elysées, les 15, 18, 20, 23, 25 et 28 octobre 2013. Rediffusion sur France Musique le samedi 2 octobre à 19h00. Photo © Théâtre des Champs-Elysées
Pour le 200ème anniversaire exactement de la naissance de Verdi (10 octobre 1813), retour d’Aida à l’Opéra de Paris. Malédiction des pharaons ? En 1968, la mise en scène de Chéreau (Pierre), datant de 1939, donne lieu à un chahut historique. Bis repetita, quarante-cinq ans plus tard, avec celle d’Olivier Py, lequel vient courageusement saluer sous les huées. Sabres et goupillons, treillis et uniformes Risorgimento, architectures mussoliniennes en cuivre étincelant, charnier sous l’arc de triomphe de la Scène … du triomphe : au cas où on ne l’aurait pas compris, Aida est une mise en garde (certes très actuelle) contre le totalitarisme. Pour transformer le cuivre en or, de belles voix feraient l’affaire. Mais hormis Marcelo Alvarez, Radamès impeccable, les chanteurs sont ordinaires, les dames surtout, ce qui, en l’occurrence, est rédhibitoire : silence de mort accueillant l’ « Air du Nil » par la soprano ukrainienne Oksana Dyka. Etonnant de la part du directeur Nicolas Joël, dont les distributions sont le point fort. Etonnant aussi de celle du chef Philippe Jordan, attaché à faire ressortir les finesses de cette partition moins clinquante qu’on ne le pense encore, mais assez loin du naturel souverain qu’il affiche dans Strauss ou Wagner.
François Lafon
Opéra National de Paris Bastille, deux distributions en alternance jusqu’au 16 novembre. En direct le 14 novembre à 19h30 dans des salles UGC et cinémas indépendants de France et du monde entier. Diffusion ultérieure sur Orange et Mezzo Live HD
Concert Britten–Beethoven à Pleyel, avec l’Orchestre de Paris dirigé par le peu médiatique mis très respecté David Zinman. Britten (né en 1913) pour le centenaire, Beethoven pour remplir la salle. Car si Le Tour d’écrou ou Billy Budd ont leur public, la Sinfonia da Requiem - hymne à la paix aux accents mahlériens (Le Chant de la Terre) commandé en 1940 par le très belliqueux Japon et refusé parce que trop chrétien – n’a rien d’un tube. On en retrouve des accents cinq ans plus tard dans les plus connus Interludes marins tirés de l’opéra Peter Grimes, mais plus incisifs, plus dramatiques, plus habilement placés. Zinman - gestique précise et présence évoquant son maître Pierre Monteux - s’y interdit tout sentimentalisme, comme le faisait Britten quand il dirigeait ses propres œuvres, mais s’entend à faire monter la pression quand il le faut. L’orchestre, impeccable, sonne clair et net. On s’étonne de ne pas retrouver la Zinman touch dans un Concerto pour violon de Beethoven où le soliste Nikolaj Znaider - violon superbe, nuances infinies – semble évoluer dans un monde parallèle. Pas un dialogue de sourd, mais une légère impression de rendez-vous manqué.
François Lafon
Salle Pleyel, Paris, les 9 et 10 octobre Photo © DR