Ça commence comme un récital, ça continue par une pochade, se poursuit avec des guignolades et s’achève par une hispaniolade : c’est lorsqu’elle est en scène qu’on apprécie le mieux Patricia Petibon dont l’abattage est digne des spécialistes du one-man-show. Dans cet exercice, la belle excentrique est éclectique, joue superbement la mélancolie avec Les Berceaux de Gabriel Fauré avant de se mettre à aboyer pour chanter Fido, Fido, l’histoire du « chien vraiment ridicule dont on n'sait jamais s'il est su' l'dos, ni s'il avance ou s'il recule » l’une des Chansons du Monsieur Bleu de Manuel Rosenthal. Et sa complice pianiste Erika Guiomar n’est pas en reste, qui se voit affublée d’une trompe d’éléphant, d’un petit chapeau toc, ou d’oreilles de lapin pour Civet à toute vitesse extrait de La Bonne Cuisine de Leonard Bernstein. Au Granada final lancé à pleins poumons, Patricia Petibon triomphe. On se souvient alors qu’elle a eu le même triomphe dans un récent Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc, qu’à ses débuts, elle a chanté Rameau avec le même succès et qu’elle fut acclamée l’an dernier pour la création d’Au Monde l’opéra de Philippe Boesmans repris le mois prochain à l’Opéra-Comique. Mazette !
Gérard Pangon
Théâtre d’Arras 24 janvier 2015
Nouveau chapitre de l’excellente série Les Pianissimes dans la chapelle élégamment décatie - et comble pour l’occasion - du Couvent des Récollets (Paris 10ème) : Romain David. Un pianiste multitâche, bardé de prix et très respecté par ses pairs, membre fondateur de l’Ensemble Symtonia (quintette avec piano) et directeur du festival du Croisic (il est lui-même natif de Guérande). Un pianiste peu médiatisé pourtant, bien que représentatif de l’embellie du piano en France depuis une vingtaine d’années. « Pas facile de l’avoir », commente Olivier Bouley, directeur des Pianissimes. Programme à sa mesure, qu’il commente généreusement : Granados après Scarlatti, l’Espagnolissime et l’Italien émigré à Madrid, Massenet en entremets, Liszt et Chopin enfin, dans leurs habits belcantistes (Un Sospiro pour le premier, le Nocturne op. 62 n° 2 pour le second) et romantiques (2ème Ballade, 3ème Ballade). Etonnante péroraison que cette 3ème Ballade de Chopin, jouée rageusement, avec véhémence, sans hédonisme aucun, à l’image du style David : de la technique, de la réflexion, de la musicalité, beaucoup d’imaginaire mais peu d’abandon. Logiquement, la sombre Ballade de l’amour et de la mort (Granados – Goyescas) et la vaste 2ème Ballade de Liszt comptent parmi les points forts de ce concert sans temps mort.
François Lafon
Couvent des Récollets, Paris, 26 janvier
Douzième et dernier opéra italien destiné par Haydn à la cour d’Eszterháza, créé le 26 février 1784, Armida reprend - à partir de la Jérusalem délivrée du Tasse - un thème déjà utilisé par maints compositeurs dont Lullly (1686), Haendel (1711 et 1731) et Gluck (1777), en attendant Rossini et Dvorak : les amours impossibles du paladin chrétien Renaud (Rinaldo) et de la magicienne sarrasine Armide. De ces archétypes, Haydn - aidé par son librettiste Nunziato Porta - fait des personnages de chair et de sang. La psychologie prend le pas sur le surnaturel, les péripéties spectaculaires cèdent dans l’intrigue devant les déchirements intérieurs. On est en pleine ère des Lumières ! Armida vient d’être donné, sous l’égide de l’Arcal (Compagnie nationale de théâtre lyrique et musical), dans une sobre mise en scène de Mariame Clément qui heureusement ne traite pas le sujet par la dérision, comme c’est trop souvent le cas ces temps-ci, mais très sérieusement. Costumes neutres, ce qui ne permet pas toujours (sans doute est-ce voulu) de distinguer les Croisés des gens de Damas, et belles prestations vocales, en particulier des deux principaux protagonistes, Chantal Santon et Juan Antonio Sanabria. Mention spéciale au Concert de la Loge Olympique, orchestre nouvellement créé issu du Cercle de l’Harmonie, et à son chef Julien Chauvin, notamment pour leurs pianissimos haletants aux limites du silence. Un regret : l’omission des cinq premières minutes de l’acte III, durant lesquelles on aurait dû voir Rinaldo pénétrer dans la forêt « terrifiante » où se déroulera la plus grande partie dudit acte. « On dit que c’est ma meilleure oeuvre [dramatique] jusqu’ici », écrivit Haydn à propos d’Armida à son éditeur Artaria. A en juger par cette belle production devant une salle archi-comble, ce « on » n’avait pas tort.
Marc Vignal
Opéra de Massy, 23 janvier 2015 Photo © DR
Au Châtelet, Il re pastore, opéra de l’année entre deux comédies musicales. En fait une « sérénade en deux actes », dernier ouvrage de jeunesse de Mozart (19 ans) avant le chef-d’œuvre Idomeneo. Une musique très mûre quand même, sur un livret « Siècle des Lumières » traitant du pouvoir et de la légitimité, de la raison et du sentiment, du roi caché et du despote éclairé. Du royaume de Sidon (Liban), le scénographe, costumier et co-metteur en scène Nicolas Buffe transpose l’action au pays des mangas et du jeu vidéo. Au Châtelet déjà, ce Franco-japonais (d’adoption) avait en 2012 (voir ici) relooké façon Star Wars et Monty Python le non moins rare Orlando Paladino de Haydn. Cette fois encore, la greffe prend : dans l’univers du Dr Robotnic, Super Mario (le roi pasteur) est amoureux d’une princesse kawaii (= lapin), Alexandre le Grand, en armure dorée sortie de X-OR, a pour gardes du corps des soldats-acrobates échappé du jeu Halo. En filigrane - pour les initiés - la grande bataille dans les années 1980 des deux géants du jeu vidéo Nintendo et Sega : une manière de retrouver le roi caché de Mozart. Distribution jeune et disponible, direction relativement disciplinée de Jean-Christophe Spinosi, bruitages réussis (pendant les récitatifs seulement). Public éclectique de 7 à 77 ans, gros succès au rideau final. L’effet Châtelet, décidément.
François Lafon - Olivier Debien
Châtelet, Paris, jusqu’au 1er février Photo © Marie-Noëlle Robert
A l’Athénée, rareté de l’année par l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin. Après Blanche-Neige de Marius Felix Lange (2013 – voir ici), La Belle au dois dormant d’Ottorino Respighi. Un petit ouvrage, originellement pour marionnettes, du compositeur des Pins et Fontaines de Rome, inusables machines à jouer de l’orchestre. Là aussi, l’orchestre est soigné, mais minimal, accompagnant une adaptation habile du conte de Perrault signée Gian Bistolfi, scénariste connu à Cinecitta. Collaboratrice du collectif catalan La Fura dels Baus, la metteur en scène Valentina Carrasco habille de voiles mouvants, « étoffe dont sont faits les rêves » selon Shakespeare, l’histoire de la belle endormie réveillée par le Prince charmant telle la Walkyrie sur son rocher. Fluide et malicieux comme la musique de Respighi, son spectacle s’adresse aux enfants, lesquels, nombreux dans la salle, rient beaucoup et ont peur quand la méchante fée émerge du sol telle une araignée maléfique. La saison dernière à l’Opéra de Lyon, Valentina Carrasco a monté Le Tour d’écrou de Benjamin Britten d’après Henry James (voir ici), une histoire de rêve éveillé aussi, mais maléfique, avec enfants plutôt que pour enfants. Elle y jouait sur le reflet, y tissait une inquiétante toile d’araignée. « Rien à voir, dit-elle, avec la magie blanche de Blanche Neige ». Et pourtant… Jeunes chanteurs de l’Opéra Studio très concernés, accompagné par le décidément excellent ensemble Le Balcon – en résidence à l’Athénée – dirigé non par son chef Maxime Pascal, mais par le solide Vincent Monteil.
François Lafon
Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 22 janvier. 30, 31 janvier et 1er février, La Sinne, Mulhouse Photo © Alain Kaiser
Festivités d’ouverture de la Philharmonie de Paris : après l’Orchestre de Paris, Les Arts Florissants, deuxième des cinq formations en résidence. William Christie : « Heureux de vivre l’aventure de ce lieu, même s’il n’est pas terminé » ; le directeur Laurent Bayle : « Il fallait ouvrir, malgré les retards, les réticences, les contestations ». Une formation baroque dans le nouveau temple du symphonique : les noces de la carpe et du lapin ? Escaliers roulants, espaces vides, terrasses nues ouvertes sur le périphérique, et enfin la grande salle, à la fois vintage et futuriste, parterre et corbeille cernés de balcons comme des nuages en suspension, volutes de bois vernis miel et chocolat, cocon enfantin et sophistiqué cernant le plateau. Programme festif et sérieux, comme savent en faire les anglo-saxons. Flottements au démarrage du Te Deum de Charpentier (celui de l’Eurovision) : appréhension des musiciens ou spécificité d’une acoustique qui ne pardonne pas, à laquelle manquent quelques mois de réglages ? Bel équilibre voix-instruments dans le superbe motet de Mondonville In exitu Israel, clarté du chœur et proximité des chanteurs, sensation de rencontre imminente mais pas tout à fait mûre de la pompe versaillaise et (ce qu’on imagine) du génie du lieu. En deuxième partie, avant un très baroque « Bon anniversaire » à Christie (70 ans) dirigé par son lieutenant Paul Agnew, l’entrée des Sauvages extraite des Indes galantes de Rameau – avec la mini-bombe lyrique Danielle De Niese - confirme l’impression. Ce week-end, concerts et ateliers divers, stars et orchestres invités en perspective. La ruche doit vivre, à la fois proche et luxueuse, et justifier sa dispendieuse existence. Quand le vin est tiré…
François Lafon
Les Arts Florissants, concert d’ouverture, disponible pendant 6 mois sur concert.qrte.tv et live.philharmoniedeparis.fr