Mercredi 4 décembre 2024
Concerts & dépendances
Au début de 1786, pour des fêtes en l’honneur de sa sœur l’archiduchesse Marie Christine, l’empereur Joseph II met en concurrence ses deux troupes d’opéra et en particulier leurs prime donne : Catarina Cavalieri et Aloysia Lange pour la troupe allemande s’opposent à Nancy Storace et Céleste Coltellini pour l’italienne. L’empereur commande pour ce faire à Mozart une œuvre en allemand et à Salieri une en italien, leur point commun étant les démêlés de responsables d’Opéra avec deux chanteuses rivales. Mozart - Der Schauspieldirektor (Le directeur de théâtre) - ne compose qu’une ouverture, deux airs, un trio et un vaudeville pour accompagner une pièce assez médiocre de Gottlieb Stephanie, le librettiste de L’Enlèvement au sérail. Salieri - Prima la musica e poi le parole (D’abord la musique, ensuite les paroles) - livre quant à lui un véritable opéra d’environ une heure sur un livret de Giovanni Battista Casti, le rival de Da Ponte. Opera Fuoco a eu la bonne idée de représenter les deux en un seul spectacle, comme à Schönbrunn le 7 février 1786, en remplaçant le texte de Stephanie par un autre concocté pour l’occasion. Largement parodique, le plus efficace dramatiquement, l’ouvrage de Salieri met en scène, outre deux chanteuses, un compositeur et un poète à la fois complices et en conflit, et fait concrètement allusion à des types d’air et de récitatif pratiqués à l’époque ainsi qu’à  des opéras alors populaires à Vienne, comme Giulio Sabino de Sarti. D’où la nécessité d’interprètes à la fois excellents chanteurs et excellents acteurs, capables de passer en un instant du tragique au comique et inversement. Le succès était au  rendez-vous : David Stern et son orchestre ainsi que, pour ne citer qu’elles, les sopranos Dania El Zein, Axelle Fanyo et Theodora  Raftis, ces deux dernières irrésistibles dans Salieri (pour une fois vainqueur), grâce aussi à une mise en scène radicale dans sa sobriété.
Marc Vignal
 
Levallois-Perret. Salle Ravel, 29 mars (Photo © DR)
 
Première à l’Opéra Comique du Domino noir de Daniel-François-Esprit Auber dans une mise en scène de Christian Hecq et Valérie Lesort, donné en preview le mois dernier à Liège avant d’être repris à Lausanne en 2021. Un classique maison (neuvième titre le plus joué avec 1195 représentations de 1837 à 1911) longtemps oublié, la mode des dominos (grands capuchons sous lequel les dames sortaient incognito) étant passée et Auber étant surtout connu pour avoir laissé son nom à une rue et, plus récemment, à une station de RER. Elève de Cherubini (et son successeur à la tête du Conservatoire de Paris), dandy doué pour les affaires au même titre que son librettiste Eugène Scribe (leurs ouvrages communs leur ont rapporté beaucoup d’argent), celui-ci a suscité l’admiration de Berlioz (on retrouve trace du Domino dans Benvenuto Cellini) et assuré à la française l’après Rossini et l’avant Offenbach. A la question : « ressusciter ce répertoire, pourquoi pas, mais comment le mettre au goût du jour ? », les metteurs en scène répondent avec finesse, évitant l’anachronisme téléphoné et créant un univers où le cartoon et le nonsense parlent au présent. De cette invraisemblable histoire de future abbesse qui profite de la nuit de Noël pour enterrer sa vie de laïque sous le couvert d’un domino noir (elle rencontrera l’âme sœur et jettera la cornette aux orties), ils font un show surréaliste où les humains s’animalisent et où les cochons chantent, où les statues pieuses tentent un rapprochement tandis que ricanent les gargouilles (Valérie Lesort est aussi plasticienne), façon d’évoquer l’anticléricalisme montant sous la monarchie bourgeoise. Autre réponse, musicale celle-là : le plateau est éblouissant, dans le style sans faire vieux style, crème d’une école française enfin retrouvée, dont le duo Anne-Catherine Gillet/Cyrille Dubois et leurs camarades (excellente Marie Lenormand en Gouvernante Muppet Show) sont les têtes de pont. Dans la même veine le chef Patrick Davin, disciple de Pierre Boulez qui a déjà triomphé salle Favart avec La Muette de Portici du même Auber, fait pétiller cette musique « bien faite » (comme on parlera pour le cinéma de « qualité française ») avec une tenue toute classique (excellent Philharmonique de Radio France) que le tonique mais réservé Auber n’aurait probablement pas désavouée. 
François Lafon

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 5 avril. En différé le 15 avril à 20h sur France Musique (Photo © Vincent Pontet)

Après la nuit (Don Carlos – voir ici) le jour, mais celui, artificiel, des écrans d’une salle de marchés. Ainsi Ivo Van Hove, avant que Vu du pont (Odéon) et Les Damnés (Comédie Française) n’asseyent sa réputation, avait vu à l’Opéra de Lyon en 2012 ce Macbeth verdien repris aujourd’hui. Plus de brumes écossaises, plus d’armures ni de peaux de bêtes façon Orson Welles dans la banque où règnent en complet gris les actuels rois du monde : un clic suffit à éliminer ses rivaux, à affamer le peuple, à bouleverser l’ordre planétaire, le poignard ne servant plus que pour les situations d’urgence (assassiner le roi, par exemple). Devant les écrans : les Sorcières, diables habillés en Prada. Derrière : le virtuel, l’irrationnel, le prévisionnel. Tandis que Macbeth se couche devant sa Lady pousse-au-crime, les caméras de surveillance filment l’inavouable et le diffusent en grand large. Du pur regietheater pour une fois justifié, la fable gagnant en efficacité directe ce qu’elle perd en (sombre) poésie, jusqu’à la ruine du système et à la prise de la forteresse par le peuple révolté (allusion au mouvement OWS - Occupy Wall Street), happy end appuyé, conforme à l’irréductible optimisme verdien terminant l’ouvrage sur un chœur où l’on chante « Nous te rendons grâce, grand Dieu vengeur, toi qui nous a libérés ». Plein jour aussi dans la fosse, où Daniele Rustioni lâche ses troupes et pilote le bolide façon Muti (Riccardo), main de fer caressant d’un gant de velours un orchestre et des chœurs vitaminés. Silhouette adéquate, timbre rêche et technique à l’arrachée, Susanna Branchini (déjà entendue en Lady en 2015 au Théâtre des Champs-Elysées) écorche quelques oreilles mais donne le change en tigresse belcantiste, dominant Elchin Azizov, Macbeth stylé mais à peine plus melliflue, et Roberto Scandiuzzi, aussi à l’aise en gentil Banco qu’en méchant Grand Inquisiteur de Don Carlos. Mention spéciale pour la comédienne jouant la femme de ménage devant laquelle les puissants se déchirent sans vergogne, et qui ouvre les portes au peuple libérateur.  
François Lafon

Opéra de Lyon, jusqu’au 5 avril (Photo © DR)

Triplé Verdi pour le festival annuel de l’Opéra de Lyon : Don Carlos, Macbeth, Attila. Trois réflexions sur le pouvoir et son train de névroses, trois façons de le représenter (ou non : Attila est donné en concert). Peau de chagrin pour Verdi, qui n’a cessé de le resserrer jusqu’à la version italienne couramment jouée, Don Carlos (en français dans le texte) retrouve depuis quelques décennies son ampleur de « grand opéra à la française » et plus encore, théâtres et chefs faisant assaut de purisme en y réintroduisant tout ou partie de ce que le compositeur avait (à contre-cœur ?) mis au panier dès la création parisienne (1867). Dernier venu dans la joute, Lyon bat Paris en y faisant figurer une partie du ballet (indispensable à l’époque et toujours coupé de nos jours), absent du spectacle (déjà fleuve) monté par Krzysztof Warlikowski à l’Opéra Bastille en octobre dernier (voir ici). Là où son confrère recherchait l’hostilité des lieux et la nudité des âmes, le metteur en scène Christophe Honoré a annoncé vouloir rendre hommage au théâtre et à ses subterfuges (décors, machinerie, sentiments) pour mieux faire souffler le vent de l’Histoire sur les destins individuels. En pratique, il est tout aussi austère (pénombre permanente, murs nus, jeux de rideaux, costumes intemporels) mais moins inventif dans sa direction d’acteurs, certaines idées chocs (la Princesse Eboli est une paralytique en fauteuil) compliquant l’affaire plutôt qu’elles ne l’éclairent, d’autres faisant leur effet, tel l’autodafé où sont figurés les divers niveaux de la pyramide sociale (plus ou moins loin du Ciel) tandis que les exclus se tordent dans les flammes. Direction au cordeau du nouveau chef maison Daniele Rustioni, chœurs impeccables, distribution inégale où les voix graves ont la part belle : Elisabeth trémulante de Sally Matthews, Carlos (Sergey Romanovsky) tardant à chauffer sa jolie voix, mais superbe Philippe II du vétéran Michele Pertusi (il commence sa Méditation … en italien, erreur ou clin d'oeil?), Posa émouvant comme jamais de Stéphane Degout, Eboli survoltée et pourtant raffinée (rare dans ce rôle) de Eve-Maud Hubeau, tous soignant notablement leur diction française. Et le ballet ? Pas du grand Verdi pour ce qu’on en entend, les danseurs (les sacrifiés de l'autodafé?) se livrant à d’énigmatiques reptations dans un bassin sur lequel il pleut bruyamment. Rires dans la salle, oublions. 
François Lafon

Opéra de Lyon, jusqu’au 6 avril (Photo © Jean-Louis Fernandez)

vendredi 23 mars 2018 à 21h48
Un vent nouveau souffle sur l’Opéra du Rhin depuis l’arrivée d’Eva Kleinitz à la direction. Sur le modèle de l’Opéra de Lyon, Strasbourg présente désormais chaque printemps un festival, Arsmondo (c’est son nom) : l’« occasion de tourner notre regard, au-delà des frontières, vers d’autres continents ». Dépaysement garanti avec le Japon cette année, en compagnie des compositeurs Toshiro Mayuzumi, Toru Takemitsu et Toshio Hosokawa. Moins connu en Occident que son confrère Takemitsu, Mayuzumi (décédé en 1997) a en commun avec lui la passion pour la salle de concert et le cinéma – de Godzilla à Ozu, en passant par Mizoguchi, Imamura et Huston. Inspiré du roman éponyme de Mishima, Le Pavillon d’or, son opéra en trois actes fut une commande du Deutsche Oper de Berlin, en juin 1976. L’ouvrage a connu plusieurs productions, dont une reprise américaine, au New York City Opera dans une version chantée en anglais (Christopher Keene), en 1995. Pour sa création française, l’Opéra du Rhin donnait la version originale, en allemand, sur un livret cosigné du compositeur et de Claus H. Henneberg. 
Cette partition d’une durée d’une heure cinquante environ (la même que son enregistrement sur disque), méritait largement qu’un chef – Paul Daniel, qui la qualifie d’« éblouissement » – et un metteur en scène – le Japonais Amon Miyamoto, plus connu des scènes anglo-saxonnes – s’y attèlent afin d’en faire ressortir l’intensité de l’écriture, bien dans l’esprit des années soixante-dix (!), et les fulgurances d’un style qui se souvient de Berg (Wozzeck) comme de Britten (Peter Grimes)… et de Carl Orff. Une descendance, somme toute guère originale, si cette manière n’était transcendée, voire pervertie, par des études au Conservatoire de Paris dans les années cinquante et l’intégration d’éléments traditionnels japonais. Ceux-ci n’ont rien d’exotique mais dopent la partition, en particulier du côté des chœurs, très importants et privilégiant les voix féminines, qui participent activement à l’étrangeté prenante du rituel. L’opéra débute sur un maelstrom orchestral du plus bel effet, emporté par un large spectre sonore qu’on croirait dérivé de la Symphonie Nirvana, partition d’esprit « spectral » qui fit beaucoup pour la renommée du compositeur dans les années soixante. Le texte de Mishima met en scène un moine, ici Mizoguchi, être instable qui met le feu au célèbre Pavillon d’or, à Kyoto. La figure du paria, récurrente chez l’écrivain, est portée à son comble. Ce rôle écrasant est endossé par Simon Bailey, formidable baryton britannique, qui connaît son Wozzeck et son Peter Grimes sur le bout des doigts. À lui seul, il assure la quasi-totalité de la partition, les rôles secondaires étant plutôt restreints : celui du père (Yves Saelens), comme ceux de ses compagnons Tsurukawa (Dominic Große) et Kashiwagi (Paul Kaufmann). En revanche, le rôle muet du « double » de Mizoguchi figuré par un danseur, l’excellent Pavel Danko, ajoute une dimension irréelle et ô combien évocatrice au monde inquiet du héros. Dommage que chez Mishima les rôles féminins soient réduits à des clichés, de la mère (Michaela Schneider) à Uiko (Fanny Lustaud)… Avec une telle partition, si dramatique, si chargée, et qui se suffirait presque à elle-même, difficile d’ajouter des images : c’est pourtant ce que fait le metteur en scène Amon Miyamoto, illustrateur raffiné, qui dose en outre avec parcimonie la vidéo, et dont on retient avant tout l’habileté du mouvement qui s’écrase au final sur le basculement d’un immense panneau d’or.
Franck Mallet
 
21 mars, Opéra du Rhin, Strasbourg 
 
Prochaines représentations : Strasbourg, Opéra (21, 24, 27 et 29/03, 3/04), Mulhouse, La Filature (13 et 15/04). (photo © Klara Beck)
 
vendredi 23 mars 2018 à 00h40
A la Philharmonie de Paris, l’Orchestre de Paris continue de fêter son cinquantième anniversaire en programmant Mass pour le centenaire de la naissance de Leonard Bernstein. Une presque quinquagénaire (1971) que cette messe catholique et iconoclaste, commandée par Jackie Kennedy pour l’ouverture du Kennedy Center de Washington : tout un monde lointain où l’on fustigeait le présent (guerre du Vietnam) en croyant à l’avenir, qu’il fût dur (Bernstein prenait parti pour les Black Panthers) ou fleuri (Hair triomphait partout). Il y a cinq ans au festival de Montpellier, Mass dégageait un parfum de nostalgie (voir ici) : le Bernstein de Kaddish et celui de West Side Story, des Chichester Psalms et de Trouble in Tahiti y retrouvait Mahler et Stravinsky, chers à Bernstein chef d’orchestre. L’actuel retour à l’ordre moral donne un goût plus amer à cette célébration monstre, too much en quantité comme en qualité, mêlant jazz, rock et symphonie, chœur classique et chorale de rue, rituel latin et propos contestataires (signés Stephen Schwartz et Bernstein lui-même), le tout ordonné par un « célébrant » prêcheur, showman et baryton. On y cerne mieux l’utopie : à son ami Kennedy, en qui il avait vu l’artisan d’un monde nouveau, Bernstein offrait son monde à lui, bigarré et composite, où l’ivresse du pop-rock avait plus d’avenir que la dissonance néo-schoenbergienne, où la question sans réponse (titre emprunté à Charles Ives) déboucherait sur des lendemains qui chantent. Electrisantes performances de l’Orchestre, du Chœur (adultes et maîtrise) augmenté de l’ensemble Aedes, du célébrant Jubilant Sykes (un peu moins en forme toutefois qu’à Montpellier) sous la baguette du spécialiste Wayne Marshall. 
François Lafon

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 22 mars. Disponible en streaming sur les sites d’Arte Concert, de l’Orchestre et de la Philharmonie de Paris (Photo : Jubilant Sykes©DR)

Suite, à l’Opéra Bastille, du cycle Berlioz amorcé en 2015 avec une Damnation de Faust de tous les dangers (voir ici) : Benvenuto Cellini, dirigé par Philippe Jordan et dans la mise en scène éprouvée (Londres, Amsterdam) du cinéaste Terry Gilliam, ex-Monty Python. Un objet lyrique de tous les dangers là aussi, ni opéra-comique ni grand opéra – ou plutôt les deux à la fois – conspué lors de sa création parisienne (1838), rattrapé par Liszt à Weimar (1852) dans une mouture plus sérieuse (c’est-à-dire moins iconoclaste), piège pour les musiciens comme pour les metteurs en scène, les premiers confrontés à des difficultés technique redoutables, les seconds devant trouver le ton exact de cette histoire pré-wagnérienne d’un sculpteur génial et un peu voyou, Artiste avec un grand « A » confronté aux simples humains, le pape compris. Gilliam, qui avait réussi son entrée en opéra à Londres avec La Damnation de Faust avant de s’attaquer à ce Benvenuto traînant (en France, pas en Angleterre) le sobriquet de Malvenuto, n’est pas loin d’avoir trouvé le ton adéquat, insolent et trépidant, entraîné dans un "Carnaval romain" (le clou du 1er acte) perpétuel, jusqu’à la naissance à la fin de la statue de Persée tenant la tête de Méduse, chef-d’œuvre prométhéen ici découpé dans du carton-pâte et vu en-dessous de la ceinture. Mais s’il est vrai qu’il faut être rigoureux pour figurer la pagaille, on a trop souvent l’impression d’assister à un monôme étudiant (pas assez de répétitions pour ce revival ?) lors des scènes de foule, tandis que les passages intimistes laissent les personnages perdus au milieu de structures peintes en trompe-l’œil et animées de vidéos, entre Piranèse et … Monty Python. Gros succès tout de même pour Gilliam au rideau final (réaction contre le regietheater actuellement de mise ?). Direction à l’avenant de Jordan, enflammée mais pas toujours précise, plateau vocal où le meilleur (le formidable ténor John Osborn dans le périlleux rôle-titre, la percutante mezzo Michèle Losier en luron travesti) côtoie l’un peu moins mémorable, à commencer par Audun Iversen, assez pâle en Fieramosca - sorte de Beckmesser de ces Maîtres chanteurs français (autre surnom de l’ouvrage) – rôle « payant » dans lequel Laurent Naouri a remporté un triomphe lors du passage de la production à .. Amsterdam.  
François Lafon
Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 14 avril. En différé sur France Musique le 22 avril (Photo : Agathe Poupeney / OnP)

Ouverture du « Week-end Les Oiseaux » à la Philharmonie de Paris : Des Canyons aux étoiles … pour piano soli, cor, xylorimba, glockenspiel et orchestre d’Olivier Messiaen. Une heure trois quarts de musique céleste, tellurique et ornithologique en trois parties et douze stations, créée à New York en 1974 à l’occasion du bicentenaire de l’indépendance des Etats-Unis. Une fresque en couleurs et super-sonorama, effectuant la prouesse de ne mobiliser que quarante-trois instruments - dont un géophone (machine à sable) et un éoliphone (machine à vent) –pour nous arracher au "Désert" (Station 1) et nous emmener à la "Cité céleste" (Station 12), en croisant des "Orioles" (ou loriots américains), en recevant l’"Appel interstellaire" (sans réponse pour les incroyants) avant d’atteindre la rivière limpide de Zion Park, symbole du Paradis. Un paradis qui pour Messiaen ne passe pas tant par l’American way of life que par la splendeur des canyons de l’Utah, mêlant exaltation naïve et science extrême du timbre et du déroulement musical. En référence à la synopsie (forme de synesthésie permettant de voir les sons en couleurs) dont était doué le compositeur de Chronochromie, la « plasticienne de l’intangible » Ann Veronica Janssens a imaginé des jeux de lumière dont les murs, les balcons et même les spectateurs de la Grande Salle de la Philharmonie sont les écrans. Une bien plate symphonie visuelle comparée à celle, sonore, que nous offre l’Ensemble Intercontemporain augmenté de l’Ensemble du Lucerne Festival Alumni (des anciens de l’Académie dudit prestigieux festival) sous la direction sans pathos surajouté de Matthias Pintscher (notre photo), entouré de solistes-maison de haut vol, tels le pianiste Hideki Nagano et le corniste Jean-Christophe Vervoitte.
François Lafon

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 16 mars. Diffusion ultérieure sur France Musique. Dimanche 18, de 6h (Concert de lever de soleil) à 21h (Concert de la nuit) : Messiaen, Catalogue d'oiseaux par Pierre-Laurent Aimard (piano) 
Photo : (c) Felix Broede

Aux Bouffes du Nord : « Vents de changement » par Amandine Beyer et l’ensemble Gli Incogniti. Une étape - préparée en résidence à la Fondation Royaumont -, de la Belle Saison, lancée en 2013 aux Bouffes et regroupant chaque année une vingtaine de lieux propices à la musique de chambre. Sous ce titre, un programme introuvable, bien dans le style de ce « Inconnus » (du nom de l’académie vénitienne des années 1630) assemblant ce soir un clavecin, cinq violons (Beyer comprise), deux altos, deux violoncelles et un violone (contrebasse). En hors-d’œuvre, la première des « Six grandes symphonies » de Franz Xaver Richter (1709-1789), maître de l’Ecole de Manheim, où, justement, la symphonie a pris son essor. Archets soyeux, rythme soutenu pour ce bijou inconnu, dont un mouvement servira de bis (« Pour une fois qu’on entend du Richter en concert », plaide Beyer). Une manière aussi de mettre en valeur la Sinfonia V de Carl Philip Emanuel Bach (dit « le Bach de Berlin »), de trente ans postérieure (1774), véritable feu d’artifice d’inventivité, grand « vent de changement » en effet. Un bonheur prolongé par la Sinfonia I en fin de concert, après un Concerto pour violon de Haydn (le 4ème en sol majeur à la place du 1er annoncé) et le Concerto pour clavecin en la mineur de CPE Bach, avec respectivement Beyer et Anna Fontana en solistes, deux faces d’un même souriant plaisir de jouer. Un seul reproche :  à peine une heure et quart de musique. Du caviar, mais à la cuillère à café. 
François Lafon
Bouffes du Nord, Paris, 12 mars. Amandine Beyer à la Belle Saison : Vieux Palais d’Espalion (27 mars, 1er avril), Gradignan, Théâtre des Quatre Saisons (29 mars)
Photo @ Oscar Vazquez 
Création maison à l’Opéra Comique : La Princesse légère, livret de Gilles Rico, musique de Violeta Cruz d’après le conte de George Mac Donald. Une création qui n’en est plus vraiment une, celle-ci – prévue en mars 2017 pour la réouverture de la salle Favart après travaux -, ayant eu lieu à Lille en décembre pour cause de retard desdits travaux. Un ouvrage clôturant « Mon premier festival d’opéra » (voir ici), un spécimen d’ « écriture scénique » (très mode au théâtre, gagnant le lyrique) auquel créateurs et interprètes ont travaillé de conserve. Un défi scénico-musical que l’histoire de cette princesse trop légère (double sens : elle rit tout le temps et ne tient pas au sol) qui n’acquerra la gravité (autre double sens) qu’en tombant amoureuse du Prince charmant. Violeta Cruz, compositrice colombienne (sans double sens) à peine trentenaire, s’en tire haut la main, mêlant chanson et récitation, ensemble instrumental et technique IRCAM (spectaculaire), musiques du monde et objets sonores (praticable à bascule, canne de sorcière, etc.), jonglant en virtuose avec la légèreté et la gravité. Les metteurs en scène Jos Houben et Emily Wilson ont, eux, imaginé un jeu d’enfants entre déséquilibre et verticalité pour donner pesanteur et apesanteur à ce conte initiatique. Tout cela est bien réalisé, bien interprété (excellents jeunes chanteurs-acteurs, parfait Ensemble Court-Circuit dirigé par son chef Jean Deroyer), mais qu’en pensent les jeunes spectateurs dont c’est là le « premier festival », nombreux dans la salle et sages comme des images ? On évitera de parler à leur place et de décréter que ce jonglage métaphorique manque un peu de limpidité et de concision. Après tout George Mac Donald était un ami et disciple de Lewis Carroll, lequel savait que le monde de l’enfance n’est jamais avare de surprises. 
François Lafon
Opéra Comique, Paris, jusqu’au 11 mars
Photo : Pierre Grosbois
mercredi 7 mars 2018 à 21h29
Lucky Luke fut le grand absent de la soirée ! Pourtant, le personnage de BD créé par Morris et Goscinny s’était colleté avec Calamity Jane et Billy the Kid… Deux figures bien réelles qui participent encore à la légende du Far West, puisque les Lettres à sa fille de la première furent mises en musique par l’Américain Ben Johnston, et qu’après plusieurs apparitions au cinéma, le second vit ses Œuvres complètes, pochade de Michael Ondaatje, faire l’objet d’une création – commande des Théâtres de la Croix-Rousse et de la Renaissance Lyon-Métropole au Britannique Gavin Bryars, dont on connaît bien les œuvres, de Thinking of the Titanic au ballet Biped, en passant par l’ode Jesus’blood never failed me yet, les opéras Médée – créé à Lyon, en 1984 – et Doctor Ox’s experiment d’après Jules Verne. 
Si l’œuvre de Johnston, né en 1926, est quasi inconnue en France, excepté un quatuor à cordes joué au cours des années quatre-vingt par le Kronos Quartet, Calamity Jane, théâtre musical d’après les Lettres à sa fille – ouvrage jugé aujourd’hui apocryphe – de 1989, est une belle découverte dans la mise en scène de Jean Lacornerie et la direction de Gérard Lecointe, à la tête de ses Percussions Claviers de Lyon. Ce n’est pas le premier spectacle qui rassemble les deux Lyonnais, loin de là, d’où cette belle harmonie qui règne sur le plateau autour de la soprano Claron MacFadden, pour ce « diptyque du paradis perdu », sous-titre du spectacle – plus prosaïquement des recettes de cuisine, articles de journaux et poèmes débridés attribués à ces deux têtes brûlées issues du mythe américain. Rythme chaotique, chanson de cowboys et écriture microtonale pour Johnston – moins délirants et exotiques que chez son confrère Harry Patch qui alla jusqu’à inventer des instruments à partir de matériaux de récupération ! La soprano a fort à faire avec un style aussi alambiqué que virtuose, qui a finalement plus à voir avec le scat d’Ella Fitzgerald et l’outrance d’un chanteur de cabaret. Remarquable comédienne, son charme vient à bout de cette pièce plus pyrotechnique qu’authentiquement poétique. 
L’univers, plus trouble mais plus intense, de Bryars, trouve un écho dans le personnage du Kid, interprété par Bertrand Belin, un choix risqué pour ce chanteur venu du rock, guitariste, comédien et écrivain, dont le falsetto se pose avec légèreté sur des trames sourdes et évanescentes. Timbre doux, nacré, associé à celui, à la fois lyrique et posé, de McFadden, tous deux bercés par la vibration chaleureuse des claviers : comme un halo protecteur qui unifie ces voix, celle de Billy enfant et celle, méditative et désillusionnée, qui se souvient et raconte. Sur une palissade, qui n’est pas sans rappeler celle que le metteur en scène utilisa à l’Opéra de Lyon pour la première française de The Tender Land, l’unique ouvrage lyrique de Copland, en 2010, le paysage se crée, s’anime, et se défait dans les tons sépia sous le pinceau de Stephan Zimmerli – une manière d’accompagner, fixer et dissoudre l’harmonie tendre et volatile de Bryars. Paradis perdu, vraiment ?                         
Franck Mallet
 
Calamity / Billy, le 6 mars, Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon (photo © Bruno Amsellem / Divergence : Claron McFadden et Bertrand Bellin)
 
Prochaines représentations : Lyon, Théâtre de la Croix-Rousse (8/03), Oullins, Théâtre de la Renaissance (9 et 10/03), Chambéry, Espace Malraux (13 et 14/03), Belfort, Le Granit (16/03), Bourges, MCB (20 et 21/03), Échirolles, La Rampe (23/03), Andrézieux, Théâtre du Parc (24/03), Meyrin-Genève, Forum (27/03), Bruges, Concertgebouw (28/04), Rotterdam, Operadagan (25/05) et Budapest, Armel Opera Festival (5/07).  
 
A la Philharmonie de Paris, confrontation Franck-Mahler avec Les Siècles et François-Xavier Roth. Programme aussi intelligent qu'inattendu : qui en effet aurait eu l'idée de jumeler la Symphonie de César Franck, emblème de la musique française, avec la Première de Gustav Mahler, si typique du melting pot de l'Europe Centrale ? Elles sont pourtant presque contemporaines (1888 pour Franck et 1889 pour Mahler) et elles partagent le principe cyclique comme élément structurel. Le résultat est cependant très différent : la Symphonie de Franck paraît comme l’un des derniers avatars romantiques de l’héroïsme beethovenien, tandis que dans la « Titan » de Mahler beaucoup de choses font déjà penser au dépassement du XIXème siècle. Même dans les couleurs de l'orchestre on est dans deux mondes différents, ce que justement les instruments "authentiques" des Siècles montrent bien : Symphonie de Franck diaphane et éthérée dans un Allegretto de rêve, « Titan » de Mahler (version originale en cinq mouvements) qui prend des allures de fanfare populaire dans le quatrième mouvement tandis que les cuivres craquent les notes dans les orages du final. Triomphe pour la direction parfois virevoltante mais toujours fine de François-Xavier Roth, désormais artiste associé de la Philharmonie, qui peut vraiment se sentir ici chez lui. 
Pablo Galonce
 
Philharmonie de Paris, le 5 mars 2018. (Photo : François-Xavier Roth © DR)
 
lundi 5 mars 2018 à 10h20
Le Deuxième concerto pour piano (1900-1901) est l’œuvre grâce à  laquelle Rachmaninov parvient à retrouver la créativité, après une dépression et un silence  de trois ans dus à l’échec cuisant de sa Première symphonie. Il a eu recours, pour s’en sortir, à des séances d’hypnose. L’ouvrage est devenu un des archétypes du romantisme exacerbé, et le cinéma l’a plus d’une fois mis à contribution : Brève rencontre de David Lean (1945), ou encore, sur un mode plus léger, Sept ans de réflexion de Billy Wilder (1955). La pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili s’y est montrée avec toutes ses qualités de coloriste, y compris dans les paroxysmes de puissance, avec notamment des pianissimos à couper le souffle. Cela s’est retrouvé dans son bis, un Clair de lune de Debussy  - premier grand paysage musical du compositeur - aux limites du silence, aux sonorités vraiment évanescentes. Après l’entracte, Mikko Franck et le Philharmonique attaquent la Troisième symphonie de Sibelius (1907), la plus rare au concert des sept. On est dans un tout autre univers que celui de Rachmaninov, et ce immédiatement : orchestration linéaire, transparence, primauté au rythme. Œuvre difficile, surtout en son finale, avec sa montée conclusive : la tension  ne doit pas faiblir, et le sommet atteint, tout s’arrête soudain. Aucun doute, Mikko Franck a ce type de discours bien en main.
Marc Vignal
 
Auditorium de Radio France, 1er mars (Photo © DR)

 

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