Mardi 19 mars 2024
Concerts & dépendances
Stravinsky et Prokofiev, Debussy et Ravel : programme pas commun pour la rentrée du Philharmonique de Radio-France à l’Auditorium de la Maison de la Radio.  Clou du concert : Nikolaï Lugansky affrontant le redoutable 2ème Concerto pour piano de Prokofiev, contemporain en date (1913) et en scandale du Sacre du Printemps. « Affronter » se révèle inadéquat dès le premier mouvement, où le pianiste ose – à juste titre – se souvenir de Rachmaninov là où nombre de ses confrères ne pensent qu’à faire table rase du passé. L’acrobatique cadence elle-même, sorte d’Himalaya pour les doigts, révèle des trésors de musicalité, et les grands emballements du scherzo, le rimski-korsakovien clin d’œil final à la musique populaire célèbrent eux aussi les noces de la tradition et de la modernité, formidablement coachés par Mikko Franck et un orchestre en grande forme. Ovation méritée, récompensée, en bis, par un ineffable Prélude en sol majeur de … Rachmaninov. Commencé par un test réussi du haut niveau de la Maîtrise maison (Quatre Chants paysans russes pour chœur de femmes et quatre cors :  les Soucoupes de Stravinsky - soucoupes au-dessus desquelles les Gitanes lisaient les lignes de la main), le concert marque un peu le pas après l’entracte avec la rare Damoiselle élue, envoi de Rome du jeune Debussy sur un texte du préraphaélite anglais Rossetti, mi-prémonition du futur Pelléas mi-tentative de concilier Wagner et Massenet, où l’orchestre et la Maîtrise sont dans leur élément mais dont les solistes (Emanuela Pascu et Melody Louledjian) peinent à se faire comprendre. Succès assuré enfin avec le Boléro de Ravel (prélude d’un cycle « minimalismes »), main de fer et gant de velours pour Franck et les solistes de l’orchestre, éclat de rire au bis, qui  se réduit à la modulation finale tant attendue, que l’on aura – chose rare – entendue deux fois.   
François Lafon 

Maison de Radio France, Auditorium, 20 septembre. Disponible 30 jours sur francemusique.fr (Photo © DR)

samedi 14 septembre 2019 à 00h49
Réouverture après deux ans de travaux du Châtelet (« Théâtre Municipal de Paris ») relooké et animé par Ruth Mackenzie et Thomas Lauriot dit Prévost, successeurs de Jean-Luc Choplin. Volonté de renouveau : « dynamique collaborative », « changer la relation entre le public et le théâtre », « s’inspirer de l’histoire du théâtre pour inventer des fruits nouveaux » sont à l’ordre du jour, comme pour rompre une bonne fois avec la politique de la ville au temps où – municipal vs national - le Châtelet se posait en (trop ?) élitiste concurrent de l’Opéra. Spectacle d’inauguration : Parade, hommage à Erik Satie débutant place de l’Hôtel de Ville avec un cortège mené par les Marionnettes géantes de Mozambique au son d’une armée de tambours, se poursuivant partout dans les espaces du théâtre où prend vie le fol univers satiesque (fontaine de pianos à queue comprise), se terminant par un grand show (payant, le reste étant destiné à ouvrir « leur » théâtre aux Parisiens), où l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Matthias Pintscher accueille le public au son de… Parade ? Non, Mercure, un autre ballet du maître (arrangé par Harrison Birtwistle), l’originalité de l’événement consistant justement à s’intituler Parade sans qu’on n’en entende une note (mais en conservant le principe : la bataille/parade des circassiens annonçant le spectacle est le spectacle). On y retrouve donc les Marionnettes de la… parade flanquées de la Cocteau Machine du décorateur Francis O’Connor (grande bicyclette chevauchée par un Jean Cocteau mécanique armé d’une paire de ciseaux), suivies de plusieurs numéros d’équilibristes au son du chant rugueux du groupe ukrainien DakhaBrakha, Pintscher et l’Intercontemporain revenant à la fin accompagner d’une création de Pierre-Yves Macé (L’Algèbre est dans les arbres, poème d'Aragon) un numéro de voltige de Sreb Extrême Action se terminant en action painting. Populaire donc (nombreux ateliers en amont), mais n’oubliant pas la branchitude parisienne, et s’affichant international autant que multiculturel. Prochain spectacle : Les Justes d’Albert Camus (où il est question de terrorisme) mis en opéra rap-slam par Abd Al Malik ; artiste en résidence : le chef Teodor Currentzis, idole des happy few ; clou classique de la saison : Saül de Handel mis en scène par le très recherché Barrie Kosky. « Nous devons lutter ensemble contre tout ce qui peut entraver l’accès à la musique », déclare Ruth Mackenzie. Paris sera toujours Paris. 
François Lafon
Parade, Châtelet, Paris, 13, 14, 15 septembre (Photo © Thomas Amouroux)

vendredi 13 septembre 2019 à 01h01
Nouvelle Traviata à l’Opéra de Paris, enterrant la version Benoit Jacquot à la Bastille (traditionnel figé – 2014), sur les brisées plutôt de la relecture de Christoph Marthaler (actualisation distancée – 2008), et pas seulement parce qu’elle est, elle aussi, donnée au Palais Garnier. Expert en analyse de l’univers féminin, le metteur en scène suisso-australien Simon Stone, dont l’élisabéthaine Trilogie de la vengeance (Odéon, Paris – 2019) a fait son effet à l’Odéon la saison dernière, transporte la Dame aux camélias dans notre monde numérique : si camélias il y a, c’est sur écran géant, et Violetta accumule les « like » sur les réseaux sociaux, lanceuse de modes et croqueuse d’amants eux aussi soumis aux diktats de la Toile. Le premier acte et le premier tableau du deuxième vont bon train, où l’on passe – scène tournante aidant – de la boite de nuit côté pile (fêtards et paillettes) et face (domestiques et poubelles) aux joies de la campagne, avec vraie vache à traire et vrai raisin dans le fouloir. L’attention faiblit un peu par la suite, où Violetta se fait humilier par Alfredo dépité au milieu d’une partie fine façon Disneyland, et où  elle disparaît dans un halo d’éternité après avoir jusqu’au bout arpenté ladite tournette, retrouvant (effet plutôt réussi) les lieux devenus cauchemardesques de sa gloire passée. Entourée d’une distribution en majorité française, où brille l’impeccable Benjamin Bernheim et où Ludovic Tézier réitère son somptueux père (pas si) noble, la belle Pretty Yende, qui évoque Whitney Houston comme Christine Schäfer rappelait Edith Piaf dans le spectacle de Marthaler, est à la hauteur de l’enjeu, belle prestance et voix brillante, et l’on ne lui reprochera pas de ne distiller l’émotion qu’au dernier acte, jusque-là reine d’un univers pas si éloigné des romans glacés de Brett Easton Ellis. Direction vivante plus que poétique de Michele Mariotti, comme un antidote à ce monde formaté qui est le nôtre. Triomphe pour tous au rideau final, même pour Simon Stone, dont la mise en scène, il est vrai, transpose sans les mettre à mal les codes du mélodrame verdien. 
François Lafon 
Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 16 octobre. En direct au cinéma et sur Medici TV le 24 septembre (captation de François Roussillon). Diffusion ultérieure sur Radio Classique (Photo©Charles Duprat/OnP)

jeudi 5 septembre 2019 à 01h56
Ouverture de la saison à la Philharmonie de Paris et rentrée de l’Orchestre de Paris (phalange maison) : Wagner, Ravel et Bartok par Karina Canellakis (chef) et Dorothea Röschmann (soprano), un double dames emblématique -  de l’aveu du directeur Laurent Bayle -, pour débuter cette année sans directeur musical suite au départ de Daniel Harding.  Un programme grand format mettant en valeur l’orchestre et ses solistes, et un grand oral pour cette maestra adoubée par Simon Rattle et son professeur Alan Gilbert (ex-directeur du New York Philharmonic), nouvellement nommée principal conductor des Orchestres de la Radio Néerlandaise et de la Radio de Berlin. Geste souple et néanmoins précis pour un prélude de Lohengrin et des Wesendonck-Lieder (Wagner) sans lourdeur, portant la voix pas tout à fait wagnérienne et le talent de diseuse de Dorothea Röschmann, sens de phrasé dans une 2ème Suite de Daphnis et Chloé (Ravel) où le choeur et l’orchestre se retrouvent « à la maison » (superbe petite harmonie, entre autres), architecture maîtrisée du Concerto pour orchestre, première œuvre de Bartok exilé aux Etats-Unis et porte d’entrée de son œuvre tout entière, joute en forme d’arche des divers groupes d’instruments face à la masse orchestrale. Tout cela sans aspérité, voire sans effort, là où l’on attendrait un peu plus de magie (Lohengrin), d’ironie (Daphnis), d’ombre et de lumière (Concerto). La mariée n’est jamais trop belle, mais serait-elle parfois trop sage ? 
François Lafon 

Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez, 4 septembre. Diffusé en direct sur Mezzo, Arte Concert et philharmonielive.tv  (en streaming pour 6 mois) et sur Radio Classique (en streaming pour 3 mois) (Photo : Karina Canellakis © Mathias Bothor)

 

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