Dimanche 3 novembre 2024
Concerts & dépendances
Au théâtre de l’Athénée, Les sept Péchés capitaux des petits bourgeois de Kurt Weill et Bertolt Brecht. Un sujet d’actualité pour une réouverture des théâtres « en présentiel » que ce ballet-cantate créé à Paris en 1933, ultime collaboration des duettistes de L’Opéra de Quat’sous et de Mahagonny sur le chemin de l’exil. Sujet de réflexion (et de distanciation brechtienne) : sept biens (?) pour un mal, à travers l’histoire d’Anna la chanteuse et de sa sœur Anna la danseuse. Délaissant la tradition « cabaret berlinois » entretenue par la grande Lotte Lenya (épouse de Weill), le metteur Jacques Osinsky et le vidéaste Yann Chapotal nous entraînent au présent dans un road movie évoquant le cinéma de Jim Jarmusch ou Au fil du temps de Wim Wenders, un  voyage en sept étapes et sept villes américaines, où voulant empêcher Anna-danse de céder au(x) péché(s), Anna-chant, toute à son rêve petit bourgeois (c’est la partie du titre qu’on oublie trop souvent), va pousser sa sœur à en commettre bien d’autres. Une opération de retournement des valeurs typiquement brechtienne, rendue plus grinçante encore par la présence sporadique du quatuor vocal familial, lequel trouve bien longue cette quête d’un argent-roi forcément vertueux. Efficace idée : l’insert entre deux stations des tubes parisiens de Weill (La Complainte de la Seine - Je ne t’aime pas – Youkali), chansons entêtantes soulignant la bascule entre l’avant-gardiste de l’époque allemande et le futur roi de Broadway. Un écran et un simple vestiaire pour l’œil, un Orchestre Pelléas réglé au petit point par le chef Benjamin Levy et un plateau vocal oscillant tout naturellement entre « petite » et « grande » musique s’entendent à nous mener très loin dans ce « monde d’après » dont les pièges ont, en notre époque incertaine, de quoi nous faire réfléchir.  
François Lafon 
Théâtre de l’Athénee-Louis-Jouvet, Paris, jusqu’au 5 juin (Photo © Pierre Grosbois)

vendredi 21 mai 2021 à 23h21
Jamais deux … Après Trompe-la-Mort de Luca Francesconi (voir ici) et la plus contestée Bérénice de Michaël Jarrell (et ), la série « Créations mondiales à partir de chefs-d’œuvre de la littérature française » initiée par Stéphane Lissner se poursuit (se termine ?) avec Le Soulier de satin de Marc-André Dalbavie, marquant la réouverture « en présentiel » de l’Opéra. Un projet monstre, lointaine onde de choc (selon le compositeur) de la pièce de Paul Claudel mise en scène dans son intégralité (dix heures !) par Antoine Vitez au festival d’Avignon 1987, oeuvre-monde, « pari fou égal à La Recherche du temps perdu » (Vitez), où se rencontrent les langages scéniques les plus divers pour conter « la légende chinoise des deux amants stellaires qui chaque année après de longues pérégrinations arrivent à s’affronter sans jamais pouvoir se rejoindre ». « Si l’ordre est le plaisir de la raison, le désordre est le délice de l’imagination » prévient Claudel, ajoutant « C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau, c’est ce qui est le plus long qui est le plus intéressant et c’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle ». Dalbavie, sa librettiste Raphaèle Fleury et son metteur en scène Stanislas Nordey - lequel avait déjà tenté le Diable (si l’on ose dire !) à l’Opéra Bastille en se mesurant au Saint-François d’Assise de Messiaen (2004) - ont eu soin de conserver l’efflorescence baroque de la pièce tout en rendant l’intrigue la plus lisible possible. Mais la jonction ne se fait pas toujours entre les tragiques et les grotesques évoluant au milieu d’un ballet de grandes toiles - référence à la peinture espagnole de l’époque en même temps que théâtre de tréteaux -, et la grande affaire reste la « musification » du verbe claudélien, déjà musical et ô combien lyrique. Tout en induisant que Le Soulier de satin est un opéra qui s’ignore, Dalbavie semble sans cesse se demander à partir de quel moment la parole ne peut plus faire autrement que laisser la place au chant, risquant de ravaler sa partition au rang de musique de scène. Un travail au petit point cependant, où se distingue l’Orchestre de l’Opéra dirigé par le compositeur lui-même : passages parlés soutenus par un ensemble riche auquel viennent s’ajouter des instruments « non classiques », récitatifs toujours soucieux de l’intelligibilité du texte, rares ensembles s’enchaînent, unis par une houle orchestrale en situation (nous sommes au temps des caravelles). Un mélange des genres qui pour les interprètes confine à l’acrobatie, la palme revenant au contre-ténor Max Emmanuel Cencic (Ange gardien stratosphérique), mais aussi aux protagonistes Eve-Maud Hubeau, superbe Prouhèze, et Jean-Sébastien Bou en Camille le renégat. Moment de rêve : l’intervention de la Lune, à laquelle, planant au-dessus d’un bruissant tapis sonore, la voix sans pareille de Fanny Ardant (hélas ! enregistrée) prête d’insondables prolongements. Public encore plus clairsemé que ne le réclame l’actuelle jauge de 35% pour cette traversée de six heures donnée en matinée à cause du couvre-feu. En attendant la mise en place de MORE (Mon Opéra Responsable et Engagé), vigoureux programme de désenclavement groupant trois objectifs : créer, s’ouvrir et préserver/transmettre.
François Lafon 

Opéra National de Paris Palais Garnier, jusqu’au 13 juin. Diffusion gratuite le 13 juin à 14h30 sur la plateforme maison L’Opéra chez soi et pendant 48h sur medici.tv. En différé sur France Musique le 19 juin
(Photo © Elisa Haberer/OnP)

 

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