En Italie, quand l’opéra ne va pas, rien ne va. Or voilà que la première de Carmen est annulée à Bologne, que Turin déprogramme Le Barbier de Séville, que L’Or du Rhin risque de ne pas briller à la Scala de Milan, et qu’à Florence, Zubin Mehta dirige « Va Pensiero » pour les employés en grève au lieu de régaler le public chic de La Femme sans ombre de Richard Strauss. Le détonateur : un décret réduisant les dépenses des opéras de la Péninsule, et une mesure signée par le président de la République Giorgio Napolitano visant, d'après la presse à les privatiser. Mais qui voudrait acheter une institution en faillite ? Les quinze Fondazioni lyriques sont touchées, et cinq mille six cents emplois menacés. L’état compte ainsi économiser 260 millions d’euros par an, sans compter les 110 millions prodigués par les régions, les provinces et les communes. La raison : les théâtres italiens sont les moins rentables du monde, ils perdent tous les ans 2,7 millions chacun (dette cumulée : 300 millions), chaque spectacle est subventionné à hauteur de 135 000 euros, et l’ensemble coûte 400 millions par an aux contribuables. Le quotidien Il Giornale, dont Silvio Berlusconi est le propriétaire, se félicite de voir baisser les salaires et ironise sur l’« indemnité humidité » touchée par les musiciens quand ils jouent en plein air, la « prime armes factices » exigée par les figurants des Arènes de Vérone quand ils doivent manier poignards et épées, ou le « bonus langue » allégué aux choristes du San Carlo pour chanter ne serait-ce qu’un mot dans un idiome autres que l’italien. La première scène de Senso, le film de Luchino Visconti, se passe à la Fenice de Venise. On y voit une représentation du Trouvère tourner à l’émeute. Avis aux politiques !
François Lafon