Fallait-il ? Ne fallait-il pas ? Trente-sept ans et six mois après sa création, la mise en scène des Noces de Figaro par Giorgio Strehler reprend du service à l’Opéra Bastille. En 2004, quand Hugues Gall a passé les clés de la maison à Gerard Mortier, celui-ci s’est empressé de « déclasser » la production. Si le spectacle qui l’a alors remplacé, signé Christoph Marthaler, avait fait l’unanimité, nous n’aurions peut-être jamais revu celui-ci. Mais pourquoi Nicolas Joël, successeur de Mortier, n’a-t-il pas lui-même tenté d’autre Noces ? « Parce que celles-ci sont parfaites », se plaît-il à rappeler. Dans l’absolu, il n’a pas tort, mais qu’est-ce que l’absolu en matière de mise en scène ? En 1973, Strehler était considéré comme le plus grand metteur en scène du monde, et ces Noces, commandées par Rolf Liebermann, ont imposé l’Opéra de Paris comme la scène internationale qu’elle n’était plus depuis longtemps. De l’Opéra Royal de Versailles (pour les deux premières représentations) au Palais Garnier, de Garnier à la Bastille, Les-Noces-de-Strehler est devenu une coquille vide, où se sont succédé plusieurs générations de grandes voix. Avant qu’Humbert Camerlo, qui avait été son assistant, n’en resserre les boulons, Strehler lui-même et son scénographe Ezio Frigerio avaient même demandé que leur nom ne figure plus à l’affiche. Aujourd’hui Camerlo, secondé par Marise Flach, détentrice de la « grammaire du geste strehlérien » (sic), continue d’entretenir la flamme. Vu avec les yeux de la mémoire, le monument tient debout. Le dernier mot revient pourtant à ce jeune homme qui voyait hier Les Noces de Figaro pour la première fois : « Figaro et la lutte des classes, ça le faisait il y a trente ans. Mais là-dedans, il y a aussi tout ce qui nous prend la tête aujourd’hui. Il faudrait que votre Strehler ressuscite pour nous raconter ça. »
François Lafon
Crédit : Fred Toulet / Opéra national de Paris