De ce Tancrède là, toute émotion est bannie. En fait d’exotisme (la Sicile du XIème siècle menacée par les Sarrasins), le metteur en scène Jacques Osinski se complaît dans l’univers morne de ces bureaux et salles de réunions que la plupart des spectateurs du TCE viennent de quitter, et de héros engoncés dans des costards de cadre moyen – on échappe tout de même aux chaussettes blanches. L’entreprise de cryogénisation est efficace et la barrière de glace ainsi dressée empêche toute empathie. Antonino Siagusa (Argirio), à la technique époustouflante, fait le ténor léger tant de la voix que du cerveau, et en abuse. Patricia Ciofi (Amenaïde), sans doute pas au meilleur de sa forme ce soir là, ne parvient pas à se réchauffer : les aigus sont aigres et les fioritures rigides. Il faut tout le talent d’une Marie-Nicole Lemieux à la barbe adolescente, première victime de l’entreprise d’enlaidissement, pour créer de la sympathie, et encore n’y parvient-elle que dans la longue scène finale, celle de sa mort, qu’elle franchit sans ridicule : chapeau bas. Les deux rôles seconds (Josè Maria Lo Monaco/Isaura et Sarah Tynan/Roggiero) s’en sortent à merveille, n’étant pas la cible première du metteur en scène. A la tête du Philarmonique de Radio-France, Enrique Mazzola imprime une direction heurtée, ignorant tout de la suavité rossinienne. Tout était prêt pour une production de référence, le rendez-vous est volontairement manqué. Restera le finale du premier acte, un sextuor magistralement rossinien : ce délice fait figure de rescapé et justifie à lui seul le déplacement.
Albéric Lagier
Théâtre des Champs-Elysées jusqu'au 27 mai Photo © DR