Directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg depuis septembre 2012, originaire de Slovénie, Marko Letonja sait captiver et surprendre. En programmant ensemble Rendering de Berio (1989-1990), composé d’après les fragments d’une audacieuse et parfois noire Dixième Symphonie laissés à sa mort par Schubert, et Le Chant de la Terre de Mahler, il a prospecté le crépusculaire. Rendering n‘est en rien un « achèvement » de Schubert : les esquisses sont trop parcellaires, et tel ne fut jamais le propos de Berio. Il a complété celles qui s’y prêtaient et surtout les a reliées par un « tissu connectif » de son propre cru, toujours pianissimo et lointain, entremêlé de réminiscences du dernier Schubert, démarche rappelant celle de sa Sinfonia : continuité et discontinuité, bonds de cent soixante années en avant et en arrière mais sans heurts, tant sont évidents chez Berio le sens et l’art de la transition. Aucun aller et retour dans Le Chant de la Terre, mais un adieu définitif - ou supposé tel - au monde tel qu’il est. Les chanteurs sont importants, mais l’orchestre peut l’être davantage. Plus encore que Christianne Stotijn et Simon O’Neill, ce sont les sonorités arachnéennes de hautbois, de flûte ou de clarinette grave de l’Abschied (l’Adieu) final, inimaginables sans une direction à la hauteur, qui ont provoqué l’émotion. On était concerné au plus haut point, comme il se doit, car pour Gustav Mahler, le péché le plus grave était celui d’indifférence.
Marc Vignal
Strasbourg. Palais de la Musique et des Congrès 26 octobre