Mercredi 24 avril 2024
Concerts & dépendances
Sade à Nîmes… Peu chair !
dimanche 26 février 2017 à 16h33
Il y a un demi-siècle, Sylvano Bussotti inventait (ou réinventait) le théâtre musical avec La passion selon Sade, en même temps que Ligeti (Aventures et Nouvelles aventures), Kagel et Georges Aperghis… Certes, avant lui, il y avait bien eu le candide Poulenc dopé par la poésie d’Apollinaire, Cocteau et Jacob (Bestiaire, Cocardes, Voix humaine, Mamelles de Tirésias…) ou bien encore Walton, avec son si prenant Façade, mais dans des formes encore classiques, bariolées d’airs populaires. Rattaché à la jeune génération d’après-guerre, Bussotti s’éloigna du post-sérialisme, privilégiant les formes ouvertes, jusqu’au happening – à l’instar de son compatriote Bruno Maderna. 
Portée à sa création, à Palerme, en 1965, par la cantatrice Cathy Berberian, interprète et dédicataire un an plus tôt des Folk Songs de Berio, la partition inscrit aussitôt le jeune compositeur dans un registre sulfureux, revendiqué et soigneusement entretenu. Endossant les habits de ce compositeur si singulier – car Bussotti, né en 1931, est aussi metteur en scène, comédien, costumier, décorateur et éclairagiste de ses propres spectacles, ou ceux des autres, notamment à La Fenice de Venise, qu’il dirigea un temps –, Antoine Gindt (Ring Saga de Wagner/Dove, en 2011, et Giordano Bruno de Francesco Filidei, en 2015) a eu la bonne idée de reprendre la partition afin d’en proposer sa propre vision, avec une première au Théâtre Bernadette Lafont, de Nîmes. 
S’il n’y avait pas de marquis chez Bussotti, sa personnification sur scène, par le comédien Éric Houzelot, permet un jeu éminemment ambigu, avec une Justine/Juliette interprétée par la soprano Raquel Camarinha. Elle, reste sagement vêtue, contrairement à son corrupteur qui, entre l’ingestion de diverses boissons alcoolisées ponctuée d’attouchements de crucifix, se dévêt, enfile une robe de chambre, puis finit KO, au tapis, nu… et étranglé par la Belle. Un libertinage risible, précédé par la harangue libertaire Français, encore un effort si vous voulez être républicains (La Philosophie dans le boudoir) du même Sade, mise en situation à la manière d’un discours électoraliste – sur le mode « pensez à qui vous voulez… ». À l’exception de la brève pochade, certes amusante, mais anecdotique, du râle féminin de la Sonata Erotica de Schulhoff (1919), glissée sous le discours politique, la mélodie de chambre, dérangeante de cet orgue féroce et de ces percussions qui claquent, mêlées aux arabesques de la voix et à l’intimité des textures de flûte, hautbois, cor, piano et harpe, dévoile le style supra-raffiné de Bussotti, qui passe très bien la rampe du demi-siècle. L’Ensemble Multilatérale, dirigé par Léo Warynski, participe activement à cette redécouverte, et il est même dommage qu’on ne puisse jouir de la projection des partitions de « ce mystère de chambre avec tableaux vivants », tant le musicien a porté au plus haut l’art de la calligraphie musicale. Raison de plus pour revoir ce spectacle, au cours de la saison prochaine. 
 
Franck Mallet
 
Théâtre Bernadette Lafont, Nîmes, 23 février. (Photo © Sandy Korzekwa)
 
Reprises 2017-2018 : Musica Strasbourg (23 septembre), MC2 Grenoble (17 et 18 octobre), Athénée-Théâtre Louis-Jouvet (29 mars-1er avril), Théâtre de Caen (7 juin).
 
 

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