Dernier musical de la saison au Châtelet : Le Roi et moi de Richard Rogers et Oscar Hammerstein II. Le Roi et moi sans Yul Brynner, à la scène comme à l’écran (et même à la télévision, en feuilleton) le roi du Siam séduit par une institutrice galloise venue faire la classe à sa nombreuse progéniture ? Qui se souvient du remake Anna et le roi, avec Jodie Foster et… qui déjà ? Comme d’habitude au Châtelet, ce fleuron de Broadway fait l’objet de soins rares à Broadway même : mise en scène fastueuse, orchestre symphonique, distribution de premier ordre. Le musical élevé au rang de classique : aussi bonne comédienne que grande chanteuse, Susan Graham (en alternance avec Christine Buffle) ferait passer la musique de Rogers pour ce qu’elle n’est pas tout à fait. Le metteur en scène Lee Blakeley – régisseur maison du cycle Stephen Sondheim – ne nous épargne aucune chinoiserie (pardon, siamoiserie), mais après tout l’ouvrage est ainsi, traitant un sujet riche (une civilisation peut-elle se donner comme dominante ?) avec un mélange de rouerie et de naïveté qui agace d’abord, amuse ensuite, et finit par attendrir. L’adaptation locale de La Case de l’oncle Tom, offerte au deuxième acte par le Roi pour prouver aux Anglais qu’il n’est pas un barbare, en dit long sur la question (excellente chorégraphie de Peggy Hickey). Et le Roi justement ? Cheveux peroxydés, plus torturé qu’autoritaire, s’autorisant du fait que le véritable Rama IV avait une dégaine d’intellectuel, Lambert Wilson ne cherche pas à concurrencer le charme brutal de Yul Brynner. Comme il le dit lui-même : « Lorsqu’on parle de Brynner à des jeunes de vingt ou trente ans, ils ne le connaissent pas. C’est un peu triste, mais cela me libère ».
François Lafon
Châtelet, Paris, jusqu’au 29 juin Photo © DR