Au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, Le Dibbouk ou entre deux mondes, mis en scène par Benjamin Lazar. Avec ce classique du théâtre yiddish, le champion de la philologie baroque fait en apparence de l’anti-Lazar. En apparence seulement, car s’il joue l’austérité (minimum de décors, d’accessoires, d’effets), il recherche là aussi le ton et le son d’origine. La pièce de Shalom An-ski s’y prête, baignant à la fois dans le fantastique et la spiritualité, une tradition juive où la moindre erreur dans l’énonciation des textes sacrés est susceptible de convoquer les hordes de l’Enfer. Cette fable « entre deux mondes » (des vivants et des morts mais aussi du théâtre et de la réalité), le français, le yiddish, le russe et l’hébreu lui donnent sa couleur. Mais - et là on retrouve pleinement Lazar – c’est la musique qui achève de structurer le spectacle. Une viole de gambe, un serpent (instruments Renaissance et baroque), un cymbalum, un chantre au timbre d’outre-monde et l’évocation comme l’invocation (le dibbouk est l’esprit d’un mort investissant un corps vivant) nous rapprochent du mystère. Musique déroutante d’Aurélien Dumont détournant les chants traditionnels pour mieux y retourner, acteurs virtuoses (Lazar lui-même, sa collaboratrice Louise Moati, formidable en possédée) : on sort à la fois glacé et enrichi, oubliant un prologue trop long, saturé de questions essentielles tirées d’un autre texte d’An-ski, Der Mensch (L’Homme).
François Lafon
Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, salle Roger Blin, jusqu’au 17 octobre. Tournée en France jusqu’en mars 2016 Photo © Pascal Gély