Aux Bouffes du Nord : Traviata, vous méritez un avenir meilleur, conçu par Benjamin Lazar, Florent Hubert et Judith Chemla, respectivement metteur en scène, musicien et interprète principale, mais collectivement tout cela et bien d’autres choses. Le pari était tentant : offrir à une actrice, chanteuse, performeuse (et bien d’autres choses) un rôle emblématique de l’opéra mais aussi du théâtre, en s’appuyant sur l’ouvrage de Verdi et sur ses doubles-fonds que sont le roman et la pièce d’Alexandre Dumas fils, ce dernier mettant en scène sa propre relation avec une courtisane célèbre. Pas d’orchestre ni de chœurs, mais des musiciens-chanteurs-acteurs multitâches, un constant va-et-vient dramatique et linguistique (français pour le théâtre, italien pour le chant), entre vie rêvée et dure réalité, références littéraires et culture populaire, scrupule philologique et anachronisme maîtrisé. On pense aux célèbres décoctions lyriques (Tragédie de Carmen, Impressions de Pelléas, La Flûte enchantée) de Peter Brook sur la même scène, mais aussi à la remise en chantier (une vraie-fausse répétition – voir ici) de l’opéra de Verdi au Festival d’Aix 2006, due à Jean-François Sivadier avec Natalie Dessay. Aucun plagiat formel ni surtout textuel (l’ouvrage à Aix était bien-sûr donné tel quel), mais une façon assez semblable d’aller à la recherche de ce qui, via Verdi, a transmué en mythe un mélo rebattu. Semblable aussi le ballet virtuose de toute la troupe (excellents père – Jérôme Billy – et amant – Damien Bigourdan) autour de Judith Chemla, stupéfiante Violetta Valery/Marguerite Gautier/Marie Duplessis réconciliant tout naturellement les faux jumeaux que sont le théâtre et l’opéra.
François Lafon
Bouffes du Nord, jusqu’au 15 octobre. (France, Suisse, Luxembourg) jusqu’en mars 2017 Photo © Charles Mignon