Au Théâtre des Champs-Elysées, récital Beethoven par le pianiste russe Andrei Korobeinikov. Deux sonates seulement, mais deux Himalaya : la « Hammerklavier » et l’Opus 111, dernière des trente-deux et débouchant sur un fascinant outre-monde. Un défi à la mesure de l’artiste, trente ans à peine, bardé de prix (Concours Scriabine, Rachmaninov, etc.), sorti du Conservatoire de Moscou avec la mention « Meilleur musicien de la décennie », adoubé en France par le clan « Folle Journée » (Festival de la Roque d’Anthéron, disques Mirare, etc.), par ailleurs avocat et auteur d’ouvrages qui font autorité sur le droit de la propriété intellectuelle. Parallélisme du son et de l’image : éclairage parcimonieux, silhouette émaciée arcboutée sur le clavier, technique imparable et toucher précis, aucune volonté apparente de séduire ni de se donner en spectacle. Sonorités rêches, angles aiguisés pour la « Hammerklavier », supérieurement architecturée, jouée comme une prémonition du XXème siècle, et dont l’immense Adagio prend des airs de concentré de philosophie spéculative. Tout autant d’intransigeance mais plus de moelleux dans l’Opus 111, sans tout de même que l’Arietta finale évoque jamais le « sourire presque immobile de Bouddha » cher à Romain Rolland. Deux bis plus aimables, mais pas moins exigeants. En comparaison, les deux Ievgueni - Kissin, dont on donne Korobeinikov comme le successeur (en quoi ?), et le transcendant et trop peu connu Sudbin - feraient presque figure d’hédonistes du clavier.
François Lafon
Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 26 mars. Diffusion sur France Musique le 7 avril à 14 h Photo © DR