Dans la cour de l’Archevêché, La Clémence de Titus ; au Grand Théâtre de Provence, Le Nez. Aix moderne, Aix classique, ou comment Mozart cède le pas à Chostakovitch. Cela fait quelques années que le festival ne sait plus à quel Amadeus se vouer. Avec La Clémence de Titus, Aix enchaîne depuis longtemps les faux pas, et celui-ci - 100% britannique - n’est pas le plus douloureux. On s’y ennuie, quand même : l’habituellement inventif David McVicar n’a pour idée que d’entourer l’empereur de gardes virevoltants, et les voix sont inégales. Reste que pour les nostalgiques d’un Mozart d’avant les baroqueux, Colin Davis et le Symphonique de Londres nous gratifient d’une interprétation ample et raffinée. Dans le genre, un modèle.
Un modèle aussi que Le Nez. L’œuvre est curieuse, agressive, par moments géniale. Chostakovitch, à vingt ans, jongle avec les -isme : modernisme, futurisme, constructivisme, et même communisme. Staline en prend pour son grade, via la nouvelle de Gogol, où l’on voit un petit fonctionnaire séparé de son nez, lequel vit sa vie … de haut fonctionnaire. La bonne idée a été de confier cet objet lyrique encore détonnant au plasticien, vidéaste et metteur en scène sud-africain William Kentridge. Chosta en rêvait, Kentridge l’a fait : un monde où tout est possible, où un cheval en ombre chinoise traîne une très réelle chambre à coucher, où des journalistes émergent d’un mur de papier, où un nez géant va prier Notre-Dame de Kazan, où vingt-cinq chanteurs, autant d’acteurs et de choristes se partagent soixante-dix rôles, où le monde se met à marcher sur la tête, ou plutôt sur le nez. Le chef Kazushi Ono suit la même logique, d’autant plus folle qu’elle est rigoureuse. Trois ans après La Maison des morts de Janacek par le tandem Chéreau-Boulez, un nouveau fleuron du festival nouvelle manière. Mais se dirait-on encore à Aix, entre les murs anonymes du Grand Théâtre ?
François Lafon
La Clémence de Titus, Cour de l’Archevêché, les 13, 15, 19, 21 juillet. En direct sur France Musique le 19, sur Mezzo et Mezzo Live HD le 21, dans les cinémas Pathé Live et en différé sur France Télévision.
Le Nez, Grand Théâtre de Provence, les 12 et 14 juillet. En direct sur Radio Classique le 14.
(Photos ©Pascal Victor/Artcomart)