Mort prématurément, le compositeur français Gérard Grisey (1946-1998) fut, avec Hugues Dufourt, Tristan Murail et d’autres, le cofondateur en 1975 de l’ensemble L’itinéraire. Il s’agissait d’inventer une nouvelle modernité hors de la musique sérielle, restituant au son et à son évolution dans le temps leur primauté. Etait associé à cette démarche le terme de musique « spectrale » : il importait de « faire passer le son aux rayons X » pour mettre en évidence son spectre harmonique. Tout cela est bel et bon, mais quid de la musique ? Une des dernières œuvres de Grisey, créée un an après sa mort, est Quatre chants pour franchir le seuil pour soprano et quinze instruments, ce seuil étant la mort justement : quatre mouvements séparés par de courts (et un vaste) interludes instrumentaux, sur des textes relevant de quatre civilisations (chrétienne, égyptienne, grecque et mésopotamienne). L’œuvre, d’une durée d’une cinquantaine de minutes, est de celles qui tiennent de bout en bout l’auditeur en haleine. On est subjugué par son alchimie sonore, ses épisodes aux limites du silence, ses formidables explosions, sa mise en jeu très personnelle du « percussif ». Surtout, si des « instants » se succèdent, on est saisi par un sens très sûr de la forme, ou plutôt de la direction : on s’oriente, on suit. Quatre chants pour franchir le seuil, un chef-d’œuvre, deux fois enregistré, vient d’être porté au triomphe par Julie Fuchs et Le Balcon, dirigé par Maxime Pascal.
Marc Vignal
Athénée, Théâtre Louis--Jouvet, 28 mars 2015 Photo © DR