A Venise, du temps de Cavalli, l’art se fait populaire et se double d’une entreprise commerciale. Pour faire recette, compositeurs et librettistes mêlent les sentiments et ratissent large, de la joie à la nostalgie, de l’amour à la haine, de la sagesse à la folie en passant par la farce. Sur scène, les toiles peintes laissent place à des machineries théâtrales dont le plus célèbre inventeur, Giacomo Torelli, est surnommé le Grand Sorcier. Comme Egisto se situe au début de cette mutation, on s’attend naturellement à voir l’Opéra-Comique envahi de machines plus merveilleuses les unes que les autres. Las, le décor unique sous forme de temple d’Apollon enferme comme en cage, dont il adopte la forme avec ses trop nombreux piliers, des chanteurs noyés dans la pénombre des bougies. (Une habitude chez le metteur en scène Benjamin Lazar). Ce choix se retrouve aussi dans le parti pris vocal : quelles que soient les circonstances, ça chante aigu et en force. Si la diction est souvent correcte, la prosodie univoque, qui fait figure de style imposé, finit rapidement par ennuyer. Et si Anders J. Dahlin (Lidio) respecte ce contrat à la lettre, on sent que Marc Mauillon (Egisto) ne pense qu’à le transgresser. C’est aussi ce que font Vincent Dumestre et son Poème Harmonique, qui se moquent de cette noirceur ambiante comme d’une guigne. Pour notre plus grand plaisir.
Albéric Lagier
Opéra-Comique, Paris, les 8 et 9 février 2012 ; Opéra de Rouen , les 16, 17 et 19 février 2012.