Vendredi 29 mars 2024
Wolf facétieux
Sophie Karthäuser et Eugène Asti en équilibre parfait
Kennst du das Land ?

On parle de lieder de Wolf, mais Wolf indique que ce sont des Gedichte für Singstimme und Klavier, des Poèmes à deux voix. Car dans ces œuvres composées entre 1888 et 1890 sur des textes de Goethe, Mörike et Eichendorff, Wolf se fait poète aux côtés de ces poètes. Le piano dialogue plus qu'il n'accompagne, prend des libertés face à la voix, se fait mélodiste parfois plus qu’elle, se fait sombre quand la voix ne l’est pas, et inversement. Et souvent le poète compositeur se prend à regarder le poète écrivain avec distance. Dans le Premier chant d’amour d’une jeune fille, par exemple, ce qui est une bluette champêtre devient un cri fulgurant (une minute trente seulement) aux teintes d’un érotisme débridé : Wolf la jugeait comme la meilleure qu’il ait écrite jusqu’alors. Où dans ce Jour de Noce, pour lequel le piano présage que le mariage ne sera pas aussi idyllique que le texte ne laisse entendre. Mais il arrive aussi que texte et voix soient dans une symbiose parfaite comme dans cet Amour inavoué, où les deux amoureux transis abondent en silences prégnants. Car il n’y a rien de systématique, chez Wolf : il cultive la surprise, et ses Poèmes ne prennent leur sel qu’écoutés par cycles. Sophie Karthäuser et Eugène Asti ne sont pas novices en matière de Wolf : ils ont parfaitement intégré cette dimension de dialogue d’égal à égal, ils en jouent ou s’en émeuvent, dans l’esprit voulu par le compositeur.
Albéric Lagier

23 poèmes pour voix et piano sur des textes de Goethe, Mörike et Eichendorff
Sophie Karthäuser (soprano), Eugene Asti (piano)
1 CD Harmonia Mundi HMC 902245
1 h

mis en ligne le mercredi 15 juin 2016

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