Vendredi 19 avril 2024
Question de tempérament
L’âge d’or de la mélancolie selon Jean Rondeau
Melancholy Grace

A priori, un casse-tête. Avec ce Melancholy Grace, florilège international de pièces pour clavier des XVIème et XVIIème siècles, l’atypique Jean Rondeau arbitre un dialogue entre les deux voies (voix ?) de la mélancolie en musique, à savoir celle, « technique », induite par le chromatisme et celle, plus intuitive, véhiculée par l’évocation musicale des larmes et des pleurs. Pour ce faire, il alterne un virginal florentin de 1575 (larmes et pleurs) et la copie moderne d’un clavecin du XVIIIème siècle (chromatisme), insistant sur l’utilisation qu’il fait des tempéraments inégaux, « en fonction de l’œuvre, de sa tonalité et donc de son sens », et permettant, entre autres, à la gamme chromatique d’être « pleine de surprises pour une oreille trop aiguisée par le tempérament égal ». A l’écoute, tout est, sinon plus simple, de moins plus évident, tant le passage est frappant d’un « premier acte » dominé par la Fantasia Cromatica de Sweelinck (clavecin puissant) à la Melancholy Pavan de John Bull (virginal plus doux), pour revenir, après une Pavana Lachrymae attribuée à Heinrich Scheidemann, à l’alternance des deux «  interlocuteurs », le tout ponctué par le retour - comme une ritournelle entre chaque acte d’un opéra - du Ballo  alla Polacha de Giovanni Picci et parcouru par le fil rouge du Lachrimae de Dowland, tube séculaire et « graine mélodique »  dont la musique anglaise jusqu’à Britten et Jean Rondeau dans ce programme ont fait leur miel (1). « L’auteur est-il conscient, réalise-t-il profondément ce qu’il fait ? (…) Autrement dit, la musique ne dépasse-t-elle pas le savoir ? », se demande Rondeau dans son texte de présentation/explication. L’interprète, en tout cas, met en valeur les trésors d’imagination déployés par une pléiade de génies du clavier sur le thème de la mélancolie, et s’offre une orgie de liberté expressive que n’aurait pas désavoué son maître Blandine Verlet. 
François Lafon

(1) Si vous ne trouvez pas ce Lachrimae verae originel, c’est voulu. Laissez tourner le CD au-delà de la plage 17 : Dowland, tel le Dieu caché, vous apparaîtra.

Pièces pour clavier de Girolamo Frescobaldi, Laurencinius di Roma, Luigi Rossi, Gregorio Strozzi, Jan Peterszoon Sweelinck, Giovanni Picchi, John Bull, Heinrich Scheidemann, Luzzasco Luzzaschi, Bernardo Storace, Antonio Valente, Orlando Gibbons, John Dowland
Jean Rondeau (clavecin, virginal)
1 CD Erato/Warner 0190295008994
1 h 20 min

mis en ligne le mardi 18 mai 2021

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