Samedi 20 avril 2024
Festival d’Aix-en-Provence 3
Manège fantastique
Innocence

Incontesté et même plébiscité au sein d’une programmation 2021 savamment polémique : Innocence, cinquième opéra de Kaija Saariaho, empêché en 2020 par l’annulation du festival et donné cette année en création mondiale. Pourquoi une telle unanimité pour cet ouvrage très sombre d’une compositrice sans concessions ? Toutes les constantes du lyrique contemporain y sont, le réservant a priori à un public « averti » : action éclatée, flash-back constants, multilinguisme, mélange de styles et d’expressions vocales, déconstruction des repères temporels. Livret de la Finlandaise Sofi Oksanen (auteur de Purge et des Vaches de Staline) : une serveuse engagée en extra pour un mariage découvre que le frère du marié est l’assassin de sa fille. Passé/présent, tuerie au collège et noces bourgeoises, réactions en chaînes jusqu’à la révélation finale et l’acceptation de la mère de « laisser partir » sa fille disparue. On pourrait s’y perdre entre morts et vivants, spectres et familles décomposées, d’autant que de L’Amour de loin (2000) à Only the Sound remains (2016), ses précédents ouvrages scéniques, Saariaho n’avait en rien renoncé à l’ascétisme qui est le sien au concert. Pas plus de concessions cette fois, mais elle nous prend par la main et nous conduit en grande dramaturge dans le labyrinthe de ces évocations gigognes. Le metteur en scène Simon Stone n’y est pas pour rien : en roue libre dans Tristan et Isolde (voir ici), il est ici le véritable troisième pilier de la réussite collective. Réalisme poétique, fantastique du quotidien, sa maison tournante agit comme un manège fantastique. Formidables chanteurs dirigés de main de maître, de Magdalena Kozena et Sandrine Piau (les deux mères) à Vilma Jää, chanteuse et musicienne folk dont la voix alla Björk illumine la soirée, excellente Susanna Mälkki à la tête d’un London Symphony et d’un Estonian Chamber Choir dignes de leur réputation. Ovation finale pour cette dernière représentation : Aix 2021 sera l’année d’Innocence comme 2012 a été celle de Written on skin de George Benjamin (voir ici). 
François Lafon

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence – En replay sur Arte Concert jusqu’au 9 juillet 2024 (Photo © Jean-Louis Fernandez)

Kaija Saariaho : Innocence
Magdalena Kozena, Sandrine Piau, Tuomas Purs, Lilian Farahani, Markus Nykänen, Jukka Rasilainen, Vilma Jää
London Symphony Orchestra, Estonian Philharmonic Chamber Choir
Direction musicale : Susanna Mälkki
Mise en scène : Simon Stone

mis en ligne le mardi 13 juillet 2021

Bookmark and Share
Contact et mentions légales.
Si vous souhaitez être informé des nouveautés de Musikzen laissez votre adresse mail
De A comme Albéniz à Z comme Zimerman,
deux ou trois choses et quelques CD pour connaître.