Au festival de La Roque-d’Anthéron, une jeune pianiste chinoise joue Chopin, Brahms, Scarlatti et Stravinsky. Sur son blog, l’éminent critique Frédéric Ballade s’extasie. Sur le sien, son élève Léo Poldowski persifle. « Plus tard, le récital fini, il sera toujours temps de nous demander qui nous fait un tel don, et si nous n’avons pas rêvé », écrit le premier. « Mlle Jin imite parfaitement, mais elle imite. Avant même qu’elle tente de s’en approcher, Chopin s’éloigne d’elle. C’est normal. C’est irrémédiable », répond le second. S’ensuit un duel à mort, public (blogs) et privé (e-mails), où se mêlent griefs personnels et positions esthétiques. Ce sont ces dernières qui font l’intérêt de Piano chinois, petit roman e-épistolaire du romancier, essayiste et … critique suisse Etienne Barilier. Périodes élégiaques et formules qui font mal, papiers d’humeur et analyses de fond, avalanche de références (Rubinstein, Haskil, Richter à la rescousse) et sèches affirmations, racisme latent (une Chinoise ne peut pas comprendre la musique occidentale) et déni des différences culturelles : la critique en prend pour son grade, et chacun y reconnaîtra les siens. On aimerait que tout cela soit plus léger, que les adversaires soient moins pédants, que leur plume soit moins lourde, qu’ils jouent moins à Trissotin et Vadius. Mais cela, c’est peut-être une réaction de critique, et la preuve que la flèche atteint son but.
François Lafon
Piano chinois, Duel autour d’un récital d’Etienne Barilier. Editions Zoé. 133 p., 16 euros.