Une biographie en pointillé, une psychologie contradictoire, une œuvre déroutante. Comme Rabelais et quelques autres, Moussorgski garde ses secrets. Sa musique a été arrangée, améliorée, recomposée même, par Rimski-Korsakov, par Ravel, par Chostakovitch. Seule certitude : il était génial, en dépit de son amateurisme, de son laisser-aller, de son ivrognerie. Notre époque, qui aime l’inachevé, l’inclassable, le fragment, l’a rendu à son mystère. On joue son œuvre sans retouches, et tant mieux si cela sonne bizarre ; on se penche avec intérêt sur son cas d’asocial, de déclassé, d’épave. Ses biographes - beaucoup plus rares que ceux de Tchaïkovski, l’autre grand Russe du XIXème siècle -, ont tenté toutes les pistes, sans qu’aucune ne s’impose. Chez Actes-Sud, le journaliste Xavier Lacavalerie tente l’impossible. Il n’a que cent-cinquante pages - plus une bio-disco - à sa disposition (format de la collection), mais il peine à les remplir. Que dire, à moins de détailler les divers états de la partition de Boris Godounov ou les curiosités harmoniques d’Une Nuit sur le mont Chauve, ce que d’autres ont fait avec beaucoup de professionnalisme ? Alors il parle de lui, raconte longuement sa découverte de Boris, ou détaille sur dix pages la façon dont les Russes portent des toasts avant de rouler sous la table. Décryptage : Moussorgski nous parle de nous, et c’est en cela qu’il est immortel. C’est un peu court, mais cela résume bien notre époque.
François Lafon
Xavier Lacavalerie : Moussorgski. Actes-Sud/Classica, 192 p., 18 €