Le motet de Thomas Tallis Spem in alium, avec ses quarante voix réelles, a longtemps été considéré comme le parangon de la complexité en musique. Or voilà que sur le modèle du dessin animé de Tex Avery Le plus petit Pygmée du monde - interdit au nom du politiquement correct -, le claveciniste Davitt Moroney a retrouvé à la Bibliothèque Nationale, où elle se cachait sous une étiquette erronée, une pièce plus ancienne et plus étonnante encore signée Alessandro Striggio (père du librettiste de Monteverdi), la Missa supra ecco si beato giorno, elle aussi à quarante voix (soixante, même, pour l’Agnus Dei final). Ledit Striggio était d’ailleurs coutumier du fait, puisqu’il s’était auparavant fait la main sur un motet, Ecce Beatam Lucem, pour quarante voix indépendantes. C’est en réaction à ces folies sonores qu’a fleuri la monodie accompagnée, matériau de base de l’opéra. De quoi faire réfléchir les derniers tenants du parallélisme complexité grandissante = progrès, encore étonnés qu’à l’avant-garde dure des années 1950-1980 soient venus s’opposer des courants « néo » réhabilitant un confort musical bassement bourgeois. Alessandro Striggio – Bernd Alois Zimmermann, même combat ? Les Soldats de Zimmermann, une des partitions les plus complexes du XXème siècle, étant un opéra, les tenants du parallélisme précité réfléchiront aussi sur le fait que, bien loin de suivre le chemin sans retour de l’évolution de l’espèce (musicale), la création n’en finit pas de tourner en rond.
François Lafon
Alessandro Striggio : Messe à quarante voix. I Fagliolini, Robert Hollingworth (direction) – 1 CD Decca. Sortie le 6 juin.