Les Mémoires intimes de Gabriel Dussurget : on en sourit d’avance. Le créateur du festival d’Aix-en-Provence a été un des derniers acteurs de ce monde où l’art n’était pas encore de la culture, où les réputations se faisaient dans les salons, où les mécènes n’avaient pas encore cédé la place aux sponsors. Il était célèbre pour ses bons mots (« J’ai la frivolité sérieuse ») et ses réparties acerbes (« Jolie voix, mais dans l’aigu, cela devient grave » ; « Voilà un artiste qui ne commet pas une faute de mauvais goût », etc.), que colportait une société où tout était permis pourvu que l’on ne commette pas, justement, de faute de goût. Or ces Mémoires inachevés, qui ont attendu quinze ans avant que sa petite nièce ne les édite, secondée par le journaliste Renaud Machart, n’ont rien de particulièrement drôle. On y retrouve la patte Dussurget, qui frappe en douceur à l’endroit le plus sensible, et l’on reste songeur devant ce dilettante qui a soulevé des montagnes (Aix, bien sûr, mais aussi un grand bureau de concerts, l’Opéra de Paris et le Ballet des Champs-Elysées), cet homme du monde décrivant avec un mélange d’innocence et de cruauté la vie des homosexuels fortunés dans une Europe qui ne connaissait pas encore la Gay Pride. Sur la couverture : un portrait de Dussurget jeune par le graphiste Cassandre. L’œil est sans illusion, le menton volontaire. C’est ce regard que l’on sent tout au long des ces pages, un peu glacé, un peu distant, et pourtant bienveillant. Comme un antidote aux ravages de l’actuelle bien-pensance.
François Lafon
Gabriel Dussurget, le magicien d’Aix. Mémoires intimes. Actes Sud, 256 p., 21€