Chez Dargaud, Glenn Gould, un pianiste à contretemps, de Sandrine Revel. Dargaud, l’éditeur historique d’Astérix et d’Iznogoud, plus récemment de la série-thriller XIII ? Sandrine Revel, lauréate du prix Alph-Art Jeunesse (2001) et auteur(e) de la BD La Lesbienne invisible (2013) ? Après les films (Bruno Monsaingeon le découvreur), les livres (Jacques Drillon le thuriféraire, Michel Schneider l’analyste), voilà le pianiste de ceux qui connaissent tout … ou rien du piano (selon ceux qui prétendent le connaître) en bande dessinée. Détail significatif : Sandrine Revel est fascinée par le jazz et ses figures mythiques. Le mythe Gould est visuel en effet : l’artiste sur sa chaise basse, cassé en deux sur le clavier, enfermé dans son studio, loin du monde et des salles de concert, l’homme du nord faisant naître la musique du silence hivernal. Mais l’auteur(e) évite les pièges (« Dès la troisième planche, j’ai tenté d’amener une lecture à double sens, un peu abstraite »), elle mélange les époques (« J’ai usé d’un code discret pour marquer la temporalité : l’encadrement arrondi nous ancre dans le passé, le double cadre dans le présent »), tente d’entrer dans la tête de l’artiste (« Ce qui était compliqué, c'était de ne pas être dans la caricature »), de pointer ses contradictions (« Un solitaire qui pouvait rester des heures au téléphone avec ses amis ») (1). Dessin à la fois naïf et précis, comme ces mains jouant sur un clavier invisible pour un public de manchots (les oiseaux marins, s’entend), couleurs légères jusqu’au bord de l’effacement (Gould à l’hôpital, loin de notre monde, et presque plus dans le sien). Impression finale d’être allé un peu plus loin dans le mystère Gould, juste avant de se (re)mettre à écouter les disques.
François Lafon
"Glenn Gould, une vie à contretemps", de Sandrine Revel, Editions Dargaud, 21 € -
(1) Interview Télérama, 23/04/2015.