Vendredi 19 avril 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon
André Tubeuf et Schubert, double adieu
dimanche 14 novembre 2021 à 17h17
Chez Actes Sud, opus posthume d’André Tubeuf, disparu le 26 juillet dernier (voir ici) : Schubert, L’ami Franz. Un chant du cygne qui commence par « De nombreuses décennies où à peine si Schubert a été un bruit qui court », et se termine par « Elle est là la transcendance. Il est là aussi, le plain-pied ». Comme toujours, l’empathie totale (ce qui va bien avec la musique de l’ami en question) et la confiance absolue (on dira de nos jours élitiste) en la culture du lecteur, laquelle doit être (au moins) égale à celle de l’auteur. Un adieu idéal, donc. Car il y a plusieurs façons de lire Tubeuf musicographe. Cela va de la structuraliste, tenant compte de la complexe idiosyncrasie de l’auteur, jusqu’à la scrupuleuse : je me jette sur le dictionnaire de la Musique (ou Wikipedia, ou Tubeuf ailleurs) à chaque fois (et elles sont nombreuses) que l’ami André pratique le name dropping, de Lemnitz (Tiana, soprano, 1897-1994) à Eichendorff (Joseph von, poète, 1788-1857) ou donne la liste des œuvres d’un compositeur comme sue et assimilée. Epuisant mais fructueux, antichambre de la cour des grands. Mais la plus tentante, et probablement la plus recherchée par l’auteur, reste la confiante, voire la planante : on commence un Tubeuf comme on monte dans un vaisseau spatial, à bord duquel on croisera des étoiles plus ou moins brillantes, dont on ne connaîtra pas toujours le nom ni la composition chimique mais dont on n’en imaginera que mieux les mystérieuses correspondances. Pour Schubert, si longtemps réduit à quelques sourires-la-larme-à-l’œil et si inattendu dans ses « divines longueurs », cette approche se révèle particulièrement adéquate, l’éditeur facilitant d’ailleurs le travail du lecteur égaré en multipliant les notes en bas de pages. Parallèlement - car Tubeuf n’était pas que musicographe et professeur de philosophie - paraît Avoir vingt ans et commencer, suite des Années Louis-le-Grand (Actes Sud, 2020), où il se raconte en normalien se passionnant pour le théâtre et le cinéma (« Uniquement les vieilleries », sourira-t-il plus tard) et trouvant dans la musique (voix et piano particulièrement) matière à appréhender le monde comme il a trouvé dans les âmes sœurs (nous revoilà dans le vaisseau spatial) une indispensable fraternité. 
François Lafon 
André Tubeuf : Schubert, l’ami Franz. Actes Sud, 192 p., 19 euros (13,99 euros en numérique) – Avoir vingt ans, et commencer. Actes Sud, 384 p., 23 euros (16,99 euros en numérique)
 
 

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