Théâtre de la cruauté, au Palais Garnier, avec la reprise du Nain de Zemlinsky et de L’Enfant et les sortilèges de Ravel, mis en scène par les Britanniques Richard Jones et Antony McDonald (1998). Grand écart esthétique, stylistique et musical, « conte tragique » vs « fantaisie lyrique », mais trouble parenté entre la mortelle histoire (inspirée d’Oscar Wilde) du nain découvrant sa laideur dans le regard de la petite infante dont il est le cadeau d’anniversaire, et celle, apparemment plus douce, de l’enfant (livret de Colette) faisant l’apprentissage de la vie au cours d’un cauchemar se terminant en rêve bleu. Etrange parallélisme aussi, pointé sur le rideau de scène par un collage très années 1920, entre Zemlinsky, disgracié comme son personnage et poursuivi par une sombre fatalité, et Ravel, à jamais mystérieux sous ses dehors d’homme-enfant tiré à quatre épingles. Air de famille enfin entre la marionnette à l’effigie de Zemlinsky manipulée par le ténor qui lui prête sa voix, et les habitants du jardin enchanté de Ravel, lucioles et écureuils aux allures de rescapés de la Grande Guerre. Silence respectueux pendant Le Nain, rires plus ou moins nerveux pendant L’Enfant, applaudissements libératoires à l’adresse des nombreux et excellents interprètes : la légèreté, souvent, est plus insoutenable que la mise au jour des tréfonds de l’être.
François Lafon
Opéra de Paris Garnier, jusqu’au 13 février Photo © DR