Pourquoi Siegfried est-il un rasta blond ? Pourquoi Mime, le fourbe Nibelung, porte-t-il une perruque empruntée à Zaza Napoli ? Pourquoi le dragon Fafner a-t-il pour gardiens de l’or du Rhin (qu’il a volé) des coolies sortis de La Nuit des morts-vivants ? Pourquoi, après un Or du Rhin comico-politique et une Walkyrie néo-spielbergienne, Siegfried, monté par Günter Krämer à l’Opéra Bastille, est-il si disparate ? Pourquoi le metteur en scène attend-il le troisième acte pour laisser les chanteurs chanter et la musique parler, sans parasiter ceux-là par une agitation permanente et celle-ci par des effets qui montrent qu’en 2011, on ne s’en laisse plus conter ? Tentative de réponse : parce que dans Wagner, tout a une petite chance de faire sens, et que les metteurs en scène ont peur que le public s’ennuie. Est-ce pour cela que le chef Philippe Jordan ne donne l’impression de prendre le pouvoir que lorsque le spectacle le laisse tranquille, c'est-à-dire dans les moments lyriques (les Murmures de la forêt, le Réveil de Brünnhilde) ? De quoi se plaint-on d’ailleurs ? Le spectacle est riche, la distribution est belle, et Siegfried n’avait pas été donné à l’Opéra depuis 1959, la dernière tentative tétralogique, en 1976, s’étant arrêtée net après La Walkyrie. En 1878, dans Humain, trop humain, Nietzsche écrivait : « Nous nous imaginons que le conte de fées et le jeu appartiennent à l’enfance, myopes que nous sommes. Comme si nous avions envie de vivre sans conte ni jeux quel que soit notre âge ! » Ce Siegfried où les Deschiens rencontrent le docteur Mabuse est peut-être un conte de notre temps.
François Lafon
A l’Opéra National de Paris – Bastille, les 6, 11, 15, 18, 22, 27, 30 mars.