Vendredi 19 avril 2024
Concerts & dépendances
Peter Grimes, effet de meute
vendredi 27 janvier 2023 à 01h43
Au Palais Garnier, première de Peter Grimes de Benjamin Britten dans la mise en scène de Deborah Warner créée à Barcelone entre deux confinements et passée par Londres, avec chaque fois dans le rôle-titre le ténor britannique Allan Clayton. Un historique qui a son importance, car c’est la première fois que le nom de la metteur en scène apparaît à l’affiche de l’Opéra de Paris, ce qui laisse rêveur eu égard à sa notoriété au théâtre et à l’opéra, quelques curieux devant se souvenir entre autres d’un fascinant Tour d’écrou (déjà Britten) exporté du Covent Garden à la MC 93 de Bobigny en 1998, avec le mémorable Ian Bostridge en revenant. Aucune huée – fait rare à l’opéra – au rideau final de ce Peter Grimes, peut-être parce que l’actuel académisme en est absent (pas de vidéo ni de réécriture du scénario à des fin d’actualisation). Qu’en est-il besoin d’ailleurs, l’histoire du pêcheur « différent » rejeté par ses contemporains étant intemporelle ?  Seule concession, justement : la transposition de l’action à notre époque, Deborah Warner tenant à « éviter une sentimentalisation dangereuse de la pauvreté du passé » façon Misérables (le musical bien entendu). Nous sommes donc bien de nos jours dans un petit bourg déshérité de la côte est de l’Angleterre, un univers alla Ken Loach où nous assistons à une démonstration terrifiante de l’effet de meute (le groupe contre un individu), thème récurrent chez Britten l’homosexuel doublé d’un objecteur de conscience. On pense aussi à Marcel Carné et à son « réalisme poétique », tant la crudité du propos est à la fois tempérée et exacerbée, ne serait-ce que par la paradoxale fragilité du massif Allan Clayton, lequel cumule les qualités des deux interprètes historiques de l’ouvrage : l’ambigu Peter Pears et le plus direct Jon Vickers. Etrange beauté de cette chasse à l’homme superbement chorégraphiée, survolée par un corps emporté par le vent (la vague ?) venant s’écraser au sol quand le cas de Grimes le (présumé) bourreau de petits mousses est réglé. Formidable direction d’acteurs, solide chœur (omniprésent), troupe sans point faible où se distinguent le grand Simon Keenlyside et la moins connue Maria Bengtsson en défenseurs du paria. Bonne direction du jeune chef britannique Alexander Soddy à la tête d’un orchestre de l’Opéra maître dans l’art de faire scintiller les couleurs et danser les rythmes de cette musique à la fois si proche et si mystérieuse.
François Lafon 
Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 24 février – En différé sur France Musique le 25 février

Photo : Vincent Pontet / OdP
 

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