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Opéra Bastille : Le Prince Igor, salutaire radicalité
vendredi 29 novembre 2019 à 01h42
Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris (Bastille) du Prince Igor de Borodine, pas entendu dans la maison (Garnier) depuis la grande tournée du Bolchoï de Moscou en 1969. A chaque production « sa » version de cet opéra inachevé dont Glazounov a comblé les manques et Rimski-Korsakov orchestré ce qu’il pensait devoir l’être, connu surtout pour ses "Danses Polovtsiennes" immortalisées par les Ballets Russes. Celle-ci est radicale : pas d’acte III (option communément admise : il n’est – presque – pas de Borodine) mais réapparition à l’acte IV d’un monologue… moussorgskien du Prince que Rimski n’a pas retenu, et déplacement de l’ouverture (reportée par Glazounov à qui Borodine l’avait jouée au piano) entre les actes II et IV. Mais surtout radicalité de la mise en scène de Barrie Kosky pour ses débuts in loco : de cet ouvrage-manifeste du slavophile Groupe des Cinq (dont Borodine était membre) inspiré d’une épopée nationale (Dit de la campagne d’Igor - 1185) où s’affrontent l’Est et l’Ouest, il fait une réflexion sur la guerre, le déracinement, les réactions d’un peuple dont le chef a failli. « La captivité est pire que la mort, sachant qu’on est la cause de tout », chante Igor, ce à quoi Kosky ajoute : « Que pourra-t-il faire une fois revenu chez lui ? » Plus grand-chose d’un sauveur de la patrie chez cet homme seul pris d’épilepsie à l’idée de partir en guerre, capturé et humilié par les nomades polovtsiens semant la ruine sur leur passage, et qui reviendra tel un clochard beckettien sur un tronçon d’autoroute après avoir assisté du fond de sa prison de béton modèle KGB à des "Danses polovtsiennes" évoquant Le Sacre du printemps dans La Maison des morts (chorégraphie Otto Pichler). Sifflets (mais aussi applaudissements) nourris de la part d’un public pourtant habitué à Tcherniakov et Warlikowski, auxquels Kosky semble rendre hommage en très doué Fregoli de la mise en scène qu’il est.  Triomphe unanime en revanche pour les voix (superbe plateau de basses, avec Ildar Abdrazakov très investi dans le rôle-titre) et mention spéciale pour la toujours stupéfiante Anita Rachvelishvili en princesse barbare aux graves abyssaux filant un amour forcément compliqué avec le fils du Prince (excellent ténor Pavel Cernoch), sans oublier la non moins valeureuse Elena Stikhina en épouse héroïque. Succès aussi pour Philippe Jordan décidément chez lui dans ce répertoire (écoutez ses Symphonies de Tchaïkovski – voir ici), donnant une salutaire unité à cette musique sporadiquement inspirée à la tête d’un orchestre et d’un chœur au meilleur de leur forme. 
François Lafon 

Opéra National de Paris – Bastille, jusqu’au 26 décembre. En direct au cinéma, sur Mezzo et Culture Box le 17 décembre, en différé le 25 janvier sur France Musique et ultérieurement sur France Télévisions (Photo © Agathe Poupeney / OnP)

 

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