La Sixième Symphonie de Mahler est la seule qui se termine « mal », sur une défaite psychologique. C’est aussi la seule qui, par sa structure, suit de près les « modèles classiques » : quatre mouvements, alors que les autres symphonies en ont souvent davantage (ou moins en ce qui concerne la Huitième), mouvements extrêmes, par-delà leurs dimensions (le finale dure à lui seul une demi-heure) et leur violence, en stricte forme sonate, même tonalité (la mineur) au début et à la fin, alors que dans beaucoup d’autres, conclure sur une tonalité majeure autre que celle (mineure) du début est perçu comme une rédemption. Tous ces traits sont liés, comme si les références à la tradition ne pouvaient déboucher que sur un désastre. Cela dit, la Sixième est une des plus grandes symphonies de Mahler. Il y a dans le finale les fameux coups de marteau qu’Alma, l’épouse du compositeur, évoque en ces termes : « Le héros qui reçoit trois coups du destin dont le dernier l’abat comme un arbre. Ce sont les propres paroles de Mahler. La Sixième, son œuvre la plus personnelle, est aussi la plus prophétique. Lui aussi a reçu trois coups du destin, et le dernier l’a abattu. » La Sixième doit procéder de façon inexorable, ce que sait bien Myung-Whun Chung, qui vient de la diriger à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Il a choisi pour l’ordre des deux mouvements centraux le plus convaincant dramatiquement (le Scherzo avant l’Andante) et a surpris en faisant frapper trois (pas seulement deux) coups de marteau, le dernier lors de la catastrophe finale. Beau succès pour un ouvrage qui après bien des vicissitudes n‘est depuis longtemps plus une rareté au concert.
Marc Vignal
Auditorium de Radio France, 6 novembre Photo © DR