Aux Bouffes du Nord, L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel (3ème version – 1911 – la plus mystique). En 1948, lors de la création de la 4ème et dernière version, l’auteur poussait les acteurs à la grandiloquence, alors que le metteur en scène insistait sur l’aspect terrien de ce concentré de claudelisme : moyen-âge de convention, baiser au lépreux, résurrection de l’enfant mort pendant la nuit de Noël, sacrifice de la jeune fille Violaine. Yves Beaunesne, qui a monté le spectacle, parle de « l’intuition d’un opéra sans paroles », et a lui aussi voulu prendre en compte le grand écart entre le sublime et le trivial qui fait le verbe claudélien. Il a demandé au compositeur Camille Rocailleux de musicaliser la pièce, ou tout au moins d’en concentrer le sublime dans des intermèdes à deux violoncelles, ou dans des pauses vocales étranges, à la fois grégoriennes et folkloriques, tandis que le texte est joué « moderne », sans emphase, la « force de profération » (dixit Antoine Vitez) remplaçant les envolées poétiques. A la fois personnages et officiants, les acteurs évoluent sur une corde raide : formidable Judith Chemla – qui a joué et chanté Didon et Enée sur la même scène (voir ici) – tonnant Jean-Claude Drouot, sorte de roi Lear portant sa fille morte, émouvant Thomas Condemine, réussissant « O ma fiancée parmi les branches en fleurs » comme un véritable chant parlé, violoncelles extraordinairement expressifs de Myrtille Hetzel et Clotilde Lacroix. Un équilibre que n’ont pas toujours trouvé les musiciens (et pas des moindres, de Darius Milhaud à Philippe Boesmans) qui ont tenté d’apprivoiser cette pièce magnifique et un peu effrayante.
François Lafon
Bouffes du Nord, Paris, jusqu’au 19 juillet. Tournée d’octobre à décembre (Luxembourg, Lattes, Niort, Saint-Etienne, Meyrin, Nîmes, Perpignan) Photo © Guy Delahaye