Vendredi 19 avril 2024
Concerts & dépendances
Kurtag-Beckett, Fin de partie et le message sous-jacent
dimanche 1 mai 2022 à 00h18
Création française, au Palais Garnier, de Fin de partie de György Kurtag, reprise du spectacle mis en scène par Pierre Audi en 2018 à la Scala de Milan. Le titre complet de l’ouvrage, Samuel Beckett : Fin de partie - scènes et monologues, pose le problème, et expose sa résolution. Car Beckett, par ailleurs musicien dans l’âme et pianiste doué, a toujours mis les compositeurs à distance : « Il s’agit d’une parole dont la fonction n’est pas tant d’avoir un sens que de lutter, mal j’espère, contre le silence et d’y renvoyer. Je la vois donc difficilement partie intégrante d’un monde sonore », écrivait-t-il à l’un d’eux, inspiré par sa pièce En attendant Godot. Quid donc de Kurtag, connu pour son esthétique fragmentaire et son génie des petites formes, relevant à quatre-vingt-dix ans passés le défi d’un premier opéra, forme longue par essence ? Les silences du texte (didascalies rythmées par de nombreux « Un temps ») rejoignent, il est vrai, son rythme personnel et son expérience des voix (Roger Blin, créateur de Fin de partie en 1957, avait d’ailleurs une « musique vocale » très affirmée, tout comme son successeur Michel Bouquet). Dès la « pantomime de Clov » qui ouvre le spectacle, on se dit que la partie est gagnée, que le silence est pris en compte, l’humour aussi, fût-il très noir, que cette pièce qui commence par « Fini, c’est fini » et met en scène un aveugle paraplégique, ses parents culs-de-jatte vivant dans des poubelles suite à « un accident de tandem dans les Ardennes » et son serviteur souffre-douleur difficultueusement ingambe a trouvé un musicien qui aurait - peut-être - convaincu Beckett. A mesure qu’avance le spectacle (deux heures tout juste) pourtant, les affects prennent le dessus et les dernières scènes, quoique musicalement superbes, donnent en partie raison… à Beckett. Pierre Audi, qui a eu la belle idée de placer ces icônes du « théâtre de l’absurde » (dénomination récusée par Beckett) dans un univers d’ « enfermement dehors » (maisons gigognes interdisant tout échappatoire), prévient la réticence : « Kurtag, à sa manière, a réussi ce que Verdi avait fait avec Otello : il en a repensé le message sous-jacent et amplifié le lyrisme en permettant à la musique de traduire la psyché des personnages, ce qui supprime le cryptage qui tient les émotions à distance quand on assiste à Fin de partie dans sa version théâtrale ». Belles performances du chef Markus Stenz et des quatre chanteurs, chacun paré par le compositeur d’un style personnel et rendant justice à une écriture vocale privilégiant le texte (en français) sans jamais tomber dans la facilité très répandue consistant à réciter sur fond musical, avec mention spéciale au baryton Leigh Melrose, serviteur dégingandé retrouvant toute l’étrangeté des grands acteurs beckettiens.
François Lafon 

Opéra National de Paris – Palais Garnier, jusqu’au 19 mai – En différé sur France Musique le 1er juin (Photo © Sébastien Mathé / OnP)
 
 

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