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Concerts & dépendances
En silence : Alexandre Desplat et le passage du miroir
dimanche 3 mars 2019 à 00h34
Aux Bouffes du Nord : En silence, opéra de chambre d’Alexandre Desplat (livret, musique, direction) et Solrey (livret, mise en scène, vidéo), d’après la nouvelle éponyme de Yasunari Kawabata (in Première Neige sur le mont Fuji). Drôle de titre pour un opéra, drôle de sujet aussi, drôle de projet pour un compositeur de cinéma multi-césarisé et oscarisé : trois espaces (verger, maison, lieu du réel), trois personnages (un narrateur, deux chanteurs), musiciens par groupes de trois pour raconter l’histoire d’un illustre écrivain paralysé, incapable de parler ni d’écrire, veillé par sa fille dans une maison proche d’un crématorium, au-delà d’un tunnel où rôde le fantôme d’une jeune femme. Rien que de naturel dans l’imagination japonaise, mais pas évident pour des occidentaux à représenter et mettre en musique que cette nouvelle d’un maître de l’irrationnel, traitant de la mémoire et de l’oubli, du passé et du présent, du réel et de l’au-delà, de l’apparition et de la disparition. « Un acte de résilience en écho à la blessure profonde du silence de mon violon, » explique Solrey, dans une autre vie Dominique Lemonnier, violoniste renommée devenue hémiplégique du bras gauche à la suite d’une opération. Et de la part de Desplat, un passage du miroir rêvé par nombre de ses confrères « habilleurs de films », de Bernard Herrmann à George Delerue. Pari en grande partie gagné. Mouvements millimétrés, éclairages irréels, costumes épurés, musiciens alignés en fond de scène comme passeurs d’un autre monde : pas de japonaiseries, mais accès pourtant à une dimension tout orientale où le temps est aboli, où le silence est l’ultime étape du parcours de toute une vie. La musique est à l’avenant, exempte de folklore, comme en apesanteur, orchestralement très travaillée et évocatrice (on sent l’homme de spectacle), vocalement exigeante (larges écarts pour la soprano et le baryton), plus originale cependant dans le jeu voix parlée-instruments que dans le récitatif-litanie hérité du théâtre musical des années 1980. Deux représentations parisiennes seulement après la création au Luxembourg en février, public « festival de Cannes » où l’on remarque d’autant plus la haute silhouette de Pascal Dusapin. 
François Lafon 

Bouffes du Nord, Paris, 2 et 3 février (Photo © Silvia Delmedico/Les Théâtres de la Ville de Luxembourg)

 

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