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Châtelet : un opera di cuccina made in USA
mardi 21 juin 2011 à 09h34

Comment résister à l’annonce d’un Placido Domingo dans un opéra composé et écrit pour lui par son ami Daniel Catán, compositeur mexicain d’origine russe actif en Californie, mort il y a deux mois ? Après la création en septembre 2010 à l’Opéra de Los Angeles (dont Domingo est directeur), la version parisienne du Postino reprend l’essentiel de la version américaine. Malgré la différence d’âge, Placido Domingo exulte dans le rôle de Neruda jeune, et la partition est taillée à ses mesures : la montée en force progressive soigne la voix, et le livret lui donne maintes occasions de faire preuve de ses talents de comédien. C’est Catán lui-même qui a écrit ce livret en suivant à la lettre le scénario du film de Michael Radford avec Philippe Noiret. Il invoque en plus Dante, d’Annunzio et un certain Milovan Perkovitch de fiction, mais ne fait qu’effleurer le thème, pourtant central, de l’exil (pas seulement celui de Neruda, mais celui de tout homme, car nous sommes tous des exilés), et maintient l’œuvre en Italie sans que rien n’évoque l’Italie – même les scènes de rues renvoient à Santiago du Chili. Ce mode de butinage se retrouve dans la partition. Catán était obsédé par l’idée de faire un opéra espagnol, et dit être redevable de « compositeurs allant de Monteverdi à Berg ». Mais c’est moins d’influence que d’emprunts épars qu’il s’agit. Tous les genres (hors la musique atonale) sont à l’appel, ou presque, quoi qu’il se passe sur scène : Debussy parfois, Puccini souvent (et immanquablement dans les duos), Ravel plus rarement, et aussi le flamenco (qui plus est dans une scène de mariage, il y a pourtant plus festif), le tango, les musiques de fanfare municipale, et l’accordéoniste elle-même ne sait guerre d’où elle est (Amérique du Sud ou Montmartre, difficile à dire). C’est ainsi un World Opera que Catán nous sert, tout comme on parle de World Food. Et comme on le sait, même avec les meilleurs ingrédients, la World Food n’est pas gage de qualité, tout au moins en Europe. Après deux heures que tous les talents réunis ne parviennent pas à faire passer légèrement, l’ensemble laisse perplexe, tout comme la sentence finale : « Si ma voix tremble, c’est que la mer se lamente ».

Albéric Lagier

Théâtre du Chätelet 20, 24, 27 et 30 juin

 

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