Au Palais Garnier, Le Château de Barbe-Bleue (Bela Bartok – Bela Balazs) et La Voix humaine (Francis Poulenc – Jean Cocteau), diptyque inattendu et pourtant évident selon Krysztof Warlikowski. Propositions inversées, propre à inspirer le metteur en scène : rejoindre l’humain par le mythe chez Bartok, atteindre le mythe par l’humain chez Poulenc. Deux pièces faussement intimistes : un homme et une femme pour le premier, une femme et un homme (au bout du fil) pour le second, mais deux orchestres grand format, véritables narrateurs. Clés de lecture du spectacle : « Dehors – dedans ? » (Prologue parlé de Barbe-Bleue), « une chambre de meurtre » (description par Cocteau du décor de La Voix humaine). Tandis que la dernière femme de Barbe-Bleue accepte la nuit éternelle, la Parisienne abandonnée investit l’espace warlikowskien, murs mouvants et rideaux argents, films mentaux avec comme leitmotiv Jean Marais en Bête (oùest la Belle?) dans le film de … Cocteau. Comme irréductible à toute élucidation, l’opéra de Bartok devient le sésame de celui de Poulenc. Plus de téléphone mais un révolver : à qui parle « Elle » ? A cet homme blessé qui vient mourir à ses pieds tandis qu’elle se suicide ? Relecture extrême, de celles qui affleurent parfois mais que seul un metteur en scène de cette envergure peut mener aussi loin. Sous la baguette non moins magistrale d’Esa-Pekka Salonen, Bartok et Poulenc avouent une égalité d’inspiration qui en dérangera plus d’un. Beau couple Barbe-Bleue – Judith (John Relyea – Ekaterina Gubanova), éclipsé pourtant par Barbara Hannigan, fascinante en monologueuse poulencienne.
François Lafon
Opéra National de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 12 décembre. En direct sur Mezzo et Mezzo Live HD le 10 décembre (filmé par Stéphane Medge). En différé sur France Musique le 19 décembre. Photo Barbara Hannigan © Bernd Uhlig