Vendredi 29 mars 2024
Au four et au moulin
Michael Spyres réinvente une catégorie vocale oubliée
Baritenor

Selon le dictionnaire, le "baryténor" est « une voix polyvalente qui possède les qualités de deux registres : un baryton avec les aigus larges ou bien/et un ténor au registre bas agrandi ». Certes, le ténor jeune premier et le baryton grand méchant sont des catégories musico-dramatiques tardives et non-étanches, et l’Idomeneo de Mozart est un père, un Don Diègue plutôt qu’un Rodrigue. C’est justement avec ce personnage emblématique que Michael Spyres ouvre ce récital, où il a pour ambition de rappeler ce « phénomène qui se cache à la vue au sein de différents ouvrages ». Ayant commencé comme baryton avant de devenir le ténor que l'on sait, il possède pour cela la (ou les) voix nécessaire(s) et nous démontre que son talent connu et admiré à passer de l’héroïque Enée des Troyens de Berlioz au stratosphérique Tonio de La Fille du régiment de Donizetti ne représente que la partie émergée de l’iceberg. Double performance en effet que de nous faire découvrir un ambitus et un pouvoir de coloration étonnants (un Placido Domingo ténor et baryton… en même temps) dans un répertoire plein de surprises. Connaissiez-vous entre autres la version « ténorisée » de l’air du Comte au troisième acte des Noces de Figaro » ? N’allons pas chercher pour autant de rigueur méthodologique excessive dans les choix de Michael Spyres : c’est pour sa paroisse vocale qu’il prêche et pour le bonheur de son public. Côté clé de sol, son Postillon de Longjumeau (Adam), son Hoffmann (Offenbach en avait commencé une version pour baryton) sont anthologiques, et son Lohengrin (superbe « Récit du Graal » dans un… français parfait) nous mène victorieusement jusqu’au ténor barytonnant wagnérien. Côté clé de fa, on le découvre adéquat dans la Sérénade de Don Giovanni (rôle un temps partagé entre basses et ténors) et grandiose dans l’oublié Ariodant de Méhul, créé par le ténor et baryton Jean-Pierre Solié. S’il oublie le Pelléas de Debussy (où barytons et ténors s’illustrent à égalité), il nous offre un Ramiro (Ravel, L’Heure espagnole) savoureux, après avoir étonné son monde avec l’air de Luna (baryton) dans Le Trouvère (Verdi) et le prologue (idem) de… Paillasse (Leoncavallo). Dommage seulement (un tout petit bémol) qu’il termine la fête avec une sirupeuse version pour mâle solo du glamour "Lied de Marietta", fleuron de La Ville morte de Korngold. Le chef Marko Letonja et le Philharmonique de Strasbourg tentent avec succès de se faire aussi Fregoli que lui.
François Lafon

Airs et scènes de Wolfgang Amadeus Mozart (Idomeneo, Don Giovanni, Le Nozze di Figaro), Etienne Nicolas Méhul (Ariodant), Gaspare Spontini (La Vestale), Gioacchino Rossini (Il Barbiere di Siviglia, Otello), Adolphe Adam (Le Postillon de Lonjumeau), Gaetano Donizetti (La Fille du régiment), Giuseppe Verdi (Il Trovatore), Ambroise Thomas (Hamlet), Jacques Offenbach (Les Contes d’Hoffmann), Richard Wagner (Lohengrin), Ruggero Leoncavallo (I Pagliacci), Franz Lehar (Die Lustige Witwe), Maurice Ravel (L’Heure espagnole), Carl Orff (Carmina Burana), Erich Wolfgang Korngold (Die tote Stadt)
Michael Spyres (baryténor)
Choeur de l'Opéra National du Rhin, Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Direction musicale : Marko Letonja
1 CD Erato 0190299515664 (Warner)
1 h 25 min

mis en ligne le vendredi 24 septembre 2021

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