Vendredi 29 mars 2024
Le cabinet de curiosités par François Lafon

De Berlin à Bayreuth : 355 kilomètres, mais d’étranges correspondances. C’est en découvrant, sur le parking du Festspielhaus, une plaque indiquant « Reserviert für Musikdirektor Ch. Thielemann », que l’équipe du Festival Wagner a appris que de conseiller musical (depuis 2010), le maestro passait Directeur musical de l’institution, poste inventé tout exprès pour lui. Un lot de consolation, sans doute, pour le prétendant malheureux à la tête du Philharmonique de Berlin. Plus anecdotique mais non moins propice aux commentaires : la soprano Anja Kampe renonce au rôle d’Isolde sous la baguette de Thielemann (elle est remplacée par Evelyn Herlitzius, l’Elektra de Patrice Chéreau), mais pas à celui de Siegelinde dans La Walkyrie, dirigé par Kirill Petrenko, son ex-compagnon et … directeur désigné du Philharmonique de Berlin. Et tout cela dans la foulée d’un éditorial sur NDR Kultur où (le passage a été supprimé) Thielemann est donné comme le spécialiste mondial du son allemand et Petrenko comme la caricature juive du Nibelung Alberich, et d’un article du quotidien Die Welt, relevant que Petrenko sera, aux côtés de Daniel Barenboim (Staatsoper) et d’Ivan Fischer (Konzerthausorchester), le troisième directeur d’orchestre juif en poste à Berlin. Petrenko, réputé pour détester les interviews, a annoncé qu’il n’en donnerait aucun.

François Lafon

Photo : Kirill Petrenko © DR

lundi 29 juin 2015 à 19h54

Initiative originale du Théâtre de La Monnaie de Bruxelles : un appel à projets de mise en scène pour Mitridate, Re di Ponto de Mozart. Règle du jeu : envoyer anonymement et en anglais intentions dramaturgiques, maquettes de décors, présentation de l’équipe artistique (à part, pour ne pas compromettre l’anonymat) avant le 18 septembre 2015. Sélection de trois équipes le 28 septembre, lesquelles participeront à un workshop en octobre. Désignation de l’équipe gagnante le 15 octobre, début des répétitions le 29 mars 2016, première le 5 mai sous le chapiteau de La Monnaie, où se déroule (entre autres lieux) la saison extra-muros pendant les travaux du théâtre. Mise à disposition des chanteurs (Michael Spyres dans le rôle-titre, Lenneke Ruiten, Myrtò Papatanasiu en Aspasia et Sifare), du chef (Christophe Rousset), de l’Orchestre et de « toutes les équipes techniques nécessaires », ainsi que d’un budget pour chaque équipe artistique. Mitridate, opera seria du jeune Mozart (quatorze ans) lointainement inspiré de la pièce de Racine, met en scène la lutte du Roi du Pont (la partie nord de la péninsule turque) contre les Romains : on peut espérer des projets engagés (anonymat aidant ?), voire polémiques, d’autant que le spectacle remplacera la production de Robert Carsen (dictature militaire, palais bombardé) déjà donnée en 2007, impossible à reprendre pour des raisons techniques. Intéressant aussi de voir qui se lancera dans la compétition : jeunes troupes, artistes confirmés, outsiders, plaisantins ? Dans sa présentation de la saison 2015-2016, le directeur de La Monnaie Peter de Caluwe cite Schiller via l’historien néerlandais Johan Huizinga : « L’homme ne joue que là où il est homme, dans la pleine acception de ce mot, et il n’est tout à fait homme que là où il joue ». « Jouer est indéniablement le mot qui résumera le mieux la saison », ajoute-t-il. En effet.

François Lafon

Envoi des projets en cinq exemplaires avant le 18 septembre 2015 au Théâtre Royal de la Monnaie / Mitridate / Marie Goffette / 4 rue Léopold / 1000 Bruxelles

vendredi 19 juin 2015 à 23h30

Nouveauté sur la plateforme musicale Google Play - accessible dans 58 pays et spécialement destinée aux smart-phones, tablettes et box TV dotés du système Android : Classical Live. Pour 4,99 dollars pièce ou en écoute illimitée pour les abonnés (9,99 dollars par mois, bientôt en euros), des enregistrements publics de l’Orchestre de Cleveland, des Symphoniques de Boston et de Londres, du Philharmonique de New York et du Concertgebouw d’Amsterdam y sont proposés. Pas de différence notable - si ce n’est la notoriété des phalanges partenaires -, avec les propositions de Spotify, Deezer ou Qobuz, et rien qui puisse concurrencer a priori la plateforme de streaming Apple Music, annoncée pour le 30 juin. Même si, de par son format (long) et son public (plutôt âgé), le classique se démarque des autres genres musicaux (ni le streaming ni le téléchargement n’y ont encore détrôné le CD), il intéresse les géants, lesquels ont constaté que nombre de mélomanes de tous âges n’hésitaient pas à panacher les genres. Handicaps prévisibles, la qualité sonore (pour cela, Qobuz est jusqu’ici imbattable) et le référencement : à « un titre, un interprète » dans le domaine des variétés correspond pour le classique une multitude de versions de la même œuvre, chefs, solistes et orchestres se retrouvant (plus ou moins) de l’une à l’autre. Un nouveau domaine, en tout cas, où l’ogre Google compte bien dévorer ses rivaux et accéder au premier rang de la chaîne alimentaire.

François Lafon – Olivier Debien

Chez Dargaud, Glenn Gould, un pianiste à contretemps, de Sandrine Revel. Dargaud, l’éditeur historique d’Astérix et d’Iznogoud, plus récemment de la série-thriller XIII ? Sandrine Revel, lauréate du prix Alph-Art Jeunesse (2001) et auteur(e) de la BD La Lesbienne invisible (2013) ? Après les films (Bruno Monsaingeon le découvreur), les livres (Jacques Drillon le thuriféraire, Michel Schneider l’analyste), voilà le pianiste de ceux qui connaissent tout … ou rien du piano (selon ceux qui prétendent le connaître) en bande dessinée. Détail significatif : Sandrine Revel est fascinée par le jazz et ses figures mythiques. Le mythe Gould est visuel en effet : l’artiste sur sa chaise basse, cassé en deux sur le clavier, enfermé dans son studio, loin du monde et des salles de concert, l’homme du nord faisant naître la musique du silence hivernal. Mais l’auteur(e) évite les pièges (« Dès la troisième planche, j’ai tenté d’amener une lecture à double sens, un peu abstraite »), elle mélange les époques (« J’ai usé d’un code discret pour marquer la temporalité : l’encadrement arrondi nous ancre dans le passé, le double cadre dans le présent »), tente d’entrer dans la tête de l’artiste (« Ce qui était compliqué, c'était de ne pas être dans la caricature »), de pointer ses contradictions (« Un solitaire qui pouvait rester des heures au téléphone avec ses amis ») (1). Dessin à la fois naïf et précis, comme ces mains jouant sur un clavier invisible pour un public de manchots (les oiseaux marins, s’entend), couleurs légères jusqu’au bord de l’effacement (Gould à l’hôpital, loin de notre monde, et presque plus dans le sien). Impression finale d’être allé un peu plus loin dans le mystère Gould, juste avant de se (re)mettre à écouter les disques.

François Lafon

"Glenn Gould, une vie à contretemps", de Sandrine Revel, Editions Dargaud, 21 € -

(1) Interview Télérama, 23/04/2015.

 

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