Mardi 19 mars 2024
Concerts & dépendances
Exposition à l’Opéra de Paris-Garnier : "Patrice Chéreau, mettre en scène l’opéra", parallèlement à la reprise (ultime ?) de De la Maison des morts de Janacek. Une poignée de spectacles – onze exactement, de L’Italienne à Alger (1969) à Elektra (2013) – qui auront contribué à la re-théâtralisation du genre. Beaucoup de photos, d’extraits de captations vidéo, de tableaux (entre autres de son père, le peintre Jean-Baptiste Chéreau), de dessins (magnifique esquisse préparatoire du Radeau de la Méduse de Géricault), de documents issus de l’Institut Mémoire de l’édition contemporaine – lettres, esquisses, et même original des menaces de mort reçues de wagnériens scandalisés par La Tétralogie du centenaire de Bayreuth (1976-1980). Au centre du parcours, une salle « Fabrique de l’opéra », ou comment l’auteur de l’essai Si tant est que l’opéra soit du théâtre vivait, entre deux promesses non-tenues de « ne plus jamais toucher au lyrique », une histoire d’amour-haine à épisodes avec « cette machine trop lourde » affligée d’un « public trop conservateur ». Pas d’hagiographie intempestive, et une volonté de saisir l’insaisissable … qui par nature se dérobe.  On se prend à essayer de décrire l’envol du reflet volé dans Les Contes d’Hoffmann, le meurtre de Lulu dans le métro de Londres, l’ultime étreinte de Wotan déposant la Walkyrie endormie sur l’Ile des morts, tout en sachant que « ceux qui n’y étaient pas » ne peuvent pas vraiment comprendre, malgré les vidéos (quand il y en a). A moins que leurs rêves à eux ne soient aussi beaux que la réalité, comme le sont peut-être les nôtres devant les moments de grâce à jamais perdus signés Wieland Wagner ou Luchino Visconti. 
François Lafon 

Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, Palais Garnier, du 18 novembre au 3 mars. Au Studio Bastille, du 19 au 26 novembre, projection des captations vidéo des spectacles mis en scène par Patrice Chéreau (Photo © DR)

dimanche 19 novembre 2017 à 10h40
A l’Opéra-Bastille : De la Maison des morts de Janacek, dans la mise en scène de Patrice Chéreau, vue depuis 2007 à Vienne, Aix-en-Provence, Milan, New York, mais pas encore à Paris. Une promesse de Stéphane Lissner au metteur en scène disparu, premier (et probablement dernier) de ses spectacles sur cette scène qu’il aurait dû codiriger et dont il avait été (co-)évincé lors de son ouverture en 1990. Un exercice de haute école que ce revival, pratique qu’il a souvent refusée s’il n’était présent pour redonner vie au spectacle. Gageure tenue par ses assistants et par le chef Esa-Pekka Salonen, lequel avait déjà succédé à Pierre Boulez lors des précédentes reprises, retrouvant le secret qui a échappé à bien des metteurs en scène (même au grand Klaus-Michaël Grüber - Opéra-Bastille 2005), à savoir que cette Maison des morts dostoïevskienne devait être aussi vivante que la musique dont Janacek l’avait parée, gommant ainsi l’aspect répétitif du défilé de bagnards venant raconter à l’avant-scène pourquoi ils en étaient arrivés là. A méditer par les actuels régisseurs à la mode - même les plus cotés -, le jeu de tension-détente, calme plat-tempête, groupes en mouvement créant une alternance zoom-plans larges. Formidables moments - très chéralducéens - que la représentation de Don Juan par les détenus, la pluie d’ordures s’abattant sur la cour du pénitencier, ou l’hymne final à la liberté, suspendu dans une sombre éternité. Direction d’acteurs savamment préservée, distribution de luxe (triomphe pour Peter Mattei, Willard White), orchestre plus anguleux mais non moins analytique que celui de Boulez. Applaudissements interminables, comme pour retarder le clap de fin.
François Lafon
 
Opéra National de Paris-Bastille, jusqu’au 2 décembre. En différé sur France Musique le 17 décembre (Photo © Elisa Haberer/Opéra de Paris)
 
Au cabaret La Nouvelle Eve, spectacle annuel de la compagnie Les Brigands : Un Soir de réveillon (1932), opérette de Jean Boyer et Albert Willemetz (couplets), Paul Amont et Marcel Gerbidont (paroles), musique du Marseillais Raoul Moretti, auteur de la légendaire Fille du bédouin. Cadre d'époque - ciel étoilé orné d’un gros cœur et cupidons en stuc immortalisés par le film Touchez pas au grisbi - pour cette opérette de boulevard aux dialogues joyeusement grivois, déclinant le thème « Le temps qu’il comprenne qu’elle n’était pas celle qu’il croyait qu’elle était, eh bien elle l’était » avec un sens du timing et du mot bien placé dont le secret s’est un peu perdu, jouée et chantée par une troupe efficacement polyvalente, suppléant le parfum d’époque (Arletty était de la création et du film qui suivit) par un ton savamment décalé - spécialité de la compagnie. Mention spéciale pour les deux instrumentistes (accordéon, guitare) tenant lieu d’orchestre sans déperdition d’énergie, et pour l’inénarrable Flannan Obé en chauffeur-chaperon. Salle comble, rires nombreux, gros succès. Il est prudent de réserver. 
François Lafon

La Nouvelle Eve, Paris, tous les lundis de novembre et mardis de décembre à 20h30. www.lesbrigands.fr

vendredi 10 novembre 2017 à 00h22
A l’Athénée, création (avant l’Allemagne) de Notre Carmen, par le collectif berlinois de théâtre musical Hauen und Stechen et l’Ensemble 9. Pas la Carmen des autres en effet : « Notre Carmen ne croit plus à une liberté promise quelle qu’elle soit (…) Elle devient experte en travestissement, géante ébouriffée, ou vieille malodorante ». En pratique : un spectacle trash et rock’n roll, où comédiens, acrobates, chanteurs, instrumentistes échangent leurs rôles dans un esprit de monôme estudiantin, avec, tout de même, des moments de réflexion, voire de philosophie. « Notre objectif est de rajeunir le public de l’Opéra et de demeurer un laboratoire performatif dans ce genre musical », ajoutent les auteurs. La formule n’est pas nouvelle, elle rappelle Le Crocodile trompeur (Didon et Enée) et Orfeo (Je suis mort en Arcadie) de Jeanne Candel et Samuel Achache, gros succès aux Bouffes du Nord, et dans une moindre mesure la mémorable Traviata revue par Benjamin Lazar (même lieu). Troupe germano-française polyglotte et montée sur ressorts, gags en rafales, humour You Tube, refonte musicale inventive (Louis Bona, Roman Lenberg). D’où vient alors que cette mise en pièces de notre Carmen nationale (comme Roger Planchon, jadis, mit en pièces Le Cid au grand dam des puristes) n’est pas aussi jouissive ni transgressive qu’on l’aurait espéré ? Trop de longueurs probablement (2h30 de spectacle, nombreux départ à l'entacte), trop d'approximations, et peut-être une lassitude face à un procédé déjà éventé. « Notre Carmen paie pour son audace effrontée le prix de l’exclusion sociale. Elle n’est d’aucune fête, n’est pas invitée », proclame le collectif Hauen und Stechen. Mais si, justement, Carmen est invitée partout, et c’est en cela qu’elle est irrécupérable.
François Lafon
 
Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 19 novembre (Photo © Ioni Laibaroes)

A l’Opéra Comique, escale à Paris de La Flûte enchantée venue du Komische Oper de Berlin, internationalement fêtée depuis sa création en 2012. Une Flûte pour tous les âges - théâtre, cinéma, bande dessinée, lanterne magique – dont Barrie Kosky (mise en scène, directeur du Komische Oper) et le Collectif 1927 (Suzanne Andrade et Paul Barritt, animation) ont éliminé ésotérisme et exégèse (au prix de la suppression de certains passages dogmatiques, comme la scène du Sprecher), s’interdisant d’« interpréter la pièce d’une seule façon », se proposant même d’en « célébrer les contradictions ». Aucun schématisme pourtant dans ce travail de haute précision célébrant la quête d’amour (« Un voyage pour lequel nous nous embarquons tous ») avec la solitude en filigrane, où Sarastro en haut de forme n’est pas moins inquiétant que la Reine de la Nuit en araignée lanceuse de couteaux, mais où papillons, chat noir, canards mécaniques et éléphants roses participent d’un univers cartoonesque (on sourit beaucoup) où le happy end est inévitable. Judicieuse idée que le remplacement des dialogues parlés par des intertitres de cinéma muet accompagnés au pianoforte par les deux grandes Fantaisies de Mozart, superbe final où tous deviennent Pamina (coiffée alla Louise Brooks) et Tamino (en jeune premier de cinéma). Troupe solide, sans vedette ni grande voix (deux distributions en alternance), mais rompue au jeu virtuose avec l’image virtuelle, Chœur Arnold Schönberg impeccable, Orchestre du Komische Oper discipliné, dirigé (un peu trop) tambour-battant par Kevin John Edusei. 
François Lafon

Opéra Comique, Paris, jusqu’au 14 novembre (Photo © Iko Freese)

A l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille : La Ronde (Reigen) opéra en dix scènes de Philippe Boesmans, livret de Luc Bondy d’après Arthur Schnitzler, par l’Académie de l’Opéra. Un (presque) quart de siècle après sa création à Bruxelles (1993), l’ouvrage est devenu un (presque) classique, toujours déroutant et sulfureux. De ce passage en revue de la société viennoise de la fin du XIXème siècle à travers les aventures de dix personnages formant une ronde de désir exempt de sentiments, Boesmans a fait sa Lulu à lui. Sa musique est implacable mais insaisissable, comme les rencontres fortuites qu’elle illustre. Même monde que celui de Berg et Wedekind, dans lequel rôde la mort (la ronde comme métaphore de la syphilis), mais plus glacé encore, plus beckettien, tout en voulant faire, dit-il un "opéra léger laissant un goût amer". Une course sans issue que la metteur en scène Christiane Lutz a voulu accélérer en actualisant l’action : portables, SMS, courses en taxi comme un leitmotiv reliant les scènes, transportant plus vite encore les candidats au bonheur immédiat. Ce n’était pas indispensable, mais cela donne de l’aisance aux très jeunes membres de l’Académie, chanteurs et musiciens auxquels se joignent ceux de l’Orchestre-Atelier Ostinato sous la direction de l’excellent Jean Deroyer, autant à son affaire avec la musique de Boesmans - habilement "chambrisée" par Fabrizio Cassol - qu’avec celle de Michaël Jarrell il y a peu (voir ici). Un exercice de haute école cependant que ce parlé-chanté (en allemand) porté par cet orchestre fluide en apparence mais en réalité terrible à mettre en place, d’autant que – disposition des lieux oblige – chef et musiciens sont relégués sur les gradins côté cour. En sortant, envie de revoir le film de Max Ophüls (plus que celui, plus récent, de Roger Vadim). Pas par frustration, plutôt par besoin d’entrer plus avant dans cette ronde fascinante.
François Lafon

Opéra National de Paris Bastille, Amphithéâtre, jusqu’au 11 novembre (Photo © Studio j'adore ce que vous faites / OnP)

 

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