Mardi 19 mars 2024
Concerts & dépendances
dimanche 26 février 2017 à 16h33
Il y a un demi-siècle, Sylvano Bussotti inventait (ou réinventait) le théâtre musical avec La passion selon Sade, en même temps que Ligeti (Aventures et Nouvelles aventures), Kagel et Georges Aperghis… Certes, avant lui, il y avait bien eu le candide Poulenc dopé par la poésie d’Apollinaire, Cocteau et Jacob (Bestiaire, Cocardes, Voix humaine, Mamelles de Tirésias…) ou bien encore Walton, avec son si prenant Façade, mais dans des formes encore classiques, bariolées d’airs populaires. Rattaché à la jeune génération d’après-guerre, Bussotti s’éloigna du post-sérialisme, privilégiant les formes ouvertes, jusqu’au happening – à l’instar de son compatriote Bruno Maderna. 
Portée à sa création, à Palerme, en 1965, par la cantatrice Cathy Berberian, interprète et dédicataire un an plus tôt des Folk Songs de Berio, la partition inscrit aussitôt le jeune compositeur dans un registre sulfureux, revendiqué et soigneusement entretenu. Endossant les habits de ce compositeur si singulier – car Bussotti, né en 1931, est aussi metteur en scène, comédien, costumier, décorateur et éclairagiste de ses propres spectacles, ou ceux des autres, notamment à La Fenice de Venise, qu’il dirigea un temps –, Antoine Gindt (Ring Saga de Wagner/Dove, en 2011, et Giordano Bruno de Francesco Filidei, en 2015) a eu la bonne idée de reprendre la partition afin d’en proposer sa propre vision, avec une première au Théâtre Bernadette Lafont, de Nîmes. 
S’il n’y avait pas de marquis chez Bussotti, sa personnification sur scène, par le comédien Éric Houzelot, permet un jeu éminemment ambigu, avec une Justine/Juliette interprétée par la soprano Raquel Camarinha. Elle, reste sagement vêtue, contrairement à son corrupteur qui, entre l’ingestion de diverses boissons alcoolisées ponctuée d’attouchements de crucifix, se dévêt, enfile une robe de chambre, puis finit KO, au tapis, nu… et étranglé par la Belle. Un libertinage risible, précédé par la harangue libertaire Français, encore un effort si vous voulez être républicains (La Philosophie dans le boudoir) du même Sade, mise en situation à la manière d’un discours électoraliste – sur le mode « pensez à qui vous voulez… ». À l’exception de la brève pochade, certes amusante, mais anecdotique, du râle féminin de la Sonata Erotica de Schulhoff (1919), glissée sous le discours politique, la mélodie de chambre, dérangeante de cet orgue féroce et de ces percussions qui claquent, mêlées aux arabesques de la voix et à l’intimité des textures de flûte, hautbois, cor, piano et harpe, dévoile le style supra-raffiné de Bussotti, qui passe très bien la rampe du demi-siècle. L’Ensemble Multilatérale, dirigé par Léo Warynski, participe activement à cette redécouverte, et il est même dommage qu’on ne puisse jouir de la projection des partitions de « ce mystère de chambre avec tableaux vivants », tant le musicien a porté au plus haut l’art de la calligraphie musicale. Raison de plus pour revoir ce spectacle, au cours de la saison prochaine. 
 
Franck Mallet
 
Théâtre Bernadette Lafont, Nîmes, 23 février. (Photo © Sandy Korzekwa)
 
Reprises 2017-2018 : Musica Strasbourg (23 septembre), MC2 Grenoble (17 et 18 octobre), Athénée-Théâtre Louis-Jouvet (29 mars-1er avril), Théâtre de Caen (7 juin).
 
Au Théâtre de l’Athénée : Je suis un homme ridicule, opéra de Sébastien Gaxie (musique) et Volodia Serre (livret et mise en scène) d’après Le Rêve d’un homme ridicule de Dostoïevski (notez le glissement de sens dans l’intitulé de l’œuvre). L’association d’un compositeur-pianiste-improvisateur friand de jonglages sonores et visuels et d’un homme de théâtre tenté par les expériences extrêmes et la symbolique des sons. Dans de telles mains, la nouvelle ambiguë de Dostoïevski (cauchemar et rédemption, métaphysique et politique, cosmologie onirique d’un homme sans qualités) devait déboucher sur une expérience sensorielle hors des sentiers battus de la scène lyrique. Cela commence bien : incursions progressives de la musique dans le récit de l’homme ridicule, humour grinçant porté par l’étonnant comédien Lionel Gonzales et son double chantant Lionel Peintre. Mais le « spectacle électro-onirique, où le lyrisme du texte rejoint celui de l’opéra » promis dérape quand vient le rêve de l’homme, où celui-ci - freudien avant la lettre - corrompt un monde d’avant la chute : zombies chantant et défilant en rond, main de l’homme (sur écran) gâtant une nature miniature, saturation sonore rappelant le théâtre musical des années 1970. L’univers dostoïevskien, contradictoire et prophétique, se retrouve réduit à une bien-pensante évocation des peurs et catastrophes à venir. L’interprétation virtuose autant qu’enflammée des Ensembles Musicatreize (vocal) et 2e2m (instrumental), fermement dirigés par Pierre Roullier, n’y peut mais. 
François Lafon

Théâtre de l’Athénée, Paris, jusqu’au 4 mars (Photo © Sébastien Gaxie)

dimanche 12 février 2017 à 21h22
Résidence de l’Opéra-Comique (dont les travaux ne sont pas terminés) au Châtelet (avant fermeture pour travaux) : Fantasio d’Offenbach, d’après Alfred de Musset. Un ouvrage qui revient de loin, créé en 1872, boudé par le public qui n’y retrouvait pas l’amuseur caustique de l’Empire défunt et reprochait en même temps à celui-ci d’être d’origine allemande et d’avoir choisi une pièce qui se passait en Bavière, vite oubliée par le compositeur qui ne le fit pas éditer mais en recycla quand même quelques thèmes dans Les Contes d’Hoffmann, retrouvé enfin et reconstitué par le musicologue Jean-Christophe Keck. Une recréation scénique donc, précédée par un enregistrement made in Britain (Opera Rara) et une version de concert au festival de Montpellier. Forces en présence, plus ou moins complémentaires : la pièce d’Alfred de Musset, laconique et désabusée, l’adaptation demandée par Offenbach à Paul de Musset, passé maître dans l’art de rendre « jouable » - selon les critères de l’époque - le « Théâtre dans un fauteuil » de son frère, enfin la mise en scène signée Thomas Jolly, plus à l’aise ici qu’au Palais Garnier dans Eliogabale de Cavalli (voir ici), cédant à son goût pour la féérie potache tirant vers le noir (et pas seulement dans les décors) qui a fait son succès. Est-ce pour équilibrer lesdites forces qu’il a réinjecté dans l’œuvre de Paul un peu de la noirceur de celle d’Alfred et rappelé les circonstances – la guerre, l’équilibre entre les états - de la création de l’ouvrage, (déjà) à l’Opéra-Comique ? Dommage que le ton opérette - genre Châtelet de Francis Lopez – qu’il a choisi vienne parasiter la musique raffinée, fort belle par moments mais assez uniment sentimentale d’Offenbach dernière manière. Distribution vocale sans faiblesse, sous la baguette très élégante de Laurent Campellone, menée par le couple Marianne Crebassa, brûlant les planches en enfant du siècle travesti et Marie-Eve Munger, lumineuse en fille de roi qui ne s’en laisse pas conter.  

François Lafon

Châtelet, Paris, jusqu’au 27 février. Sur France Musique le 19 mars, en direct sur Culturebox le 22 février (Photo © Pierre Grsobois)


Ouverture, à l’Auditorium de la Maison de Radio France, du 27ème festival Présences. Retour, après quelques thématiques géographiques (la Méditerranée, les deux Amériques, l’Italie) à un invité de marque, cette fois la très fêtée compositrice finlandaise Kaija Saariaho, fixée à Paris de longue date et représentante d’un pays riche en personnalités musicales (d’Esa-Pekka Salonen à Karita Mattila) en même temps que d’une Europe artistique convergeant vers la Ville (encore) Lumière. Pour ce premier concert (sur dix-huit) réunissant la galaxie Saariaho et sous-titré « Je dévoile ma voix » : deux œuvres de l’hôtesse – une ancienne (Graal Théâtre – 1994) et une plus récente (Adriana Songs – 2006) - encadrant Denkklänge, une création mondiale signée Raphaël Cendo. Deux compositeurs mais trois univers, Graal Théâtre, grand poème pour violon inspiré de l’épopée arthurienne actualisée par Jacques Roubaud et soutenu par un orchestre frémissant, tranchant sur l’expressionnisme lyrique des Adriana Songs, quintessence, sur un texte d’Amin Maalouf, du deuxième opéra de Saariaho, Adriana Mater. Question d’interprétation aussi, le violon très virtuose mais sans effet intempestif de Jennifer Koh ne faisant pas moins hiatus avec le ton mélodramatique de la mezzo Nora Gubisch dans un condensé de la vie d’une femme en temps de guerre, où la sobriété d’une Anne Sofie von Otter ferait probablement merveille. Entre ces deux morceaux de maître, la pièce de Raphaël Cendo, proposant de « ne plus penser par images, mais de provoquer la pensée/son », transforme en bolide l’Orchestre Philharmonique de Radio France fermement dirigé par le chef russe (formé en Finlande) Dima Slobodeniouk et lancé dans une course folle traversant déchirures et barrissements, pensées/sons et sons impensables. 

François Lafon

Présences, Maison de Radio France, 18 concerts jusqu’au 19 février (Photo © DR)

dimanche 5 février 2017 à 11h02
Créées le 24 novembre 1919 au même concert que la version définitive de la Cinquième Symphonie, les six Humoresques pour violon et orchestre opus 87 et 89 de Sibelius sont des œuvres très attachantes dont - sauf erreur de ma part - la jeune violoniste russe Alina Pogostkina et le Philharmonique de Radio France viennent  de donner la  première audition intégrale en France. D’une durée totale d’un peu plus de vingt minutes, dotées d’un accompagnement orchestral discret mais efficace (Mikko Franck au rendez-vous), ces six pièces évitent soigneusement l’ostentation. Superbement écrites pour l’instrument, opposant constamment tonalité et modalité, elles n’ont rien d’un concerto miniature. Lauréate du Concours Sibelius à Helsinki en 2005, Alina Pogostkina l’a bien compris, qui s’est attachée à faire ressortir  leurs qualités de mystère, leur dimension presque fantomatique, faisant montre à la fois d’engagement et de retenue. Elles expriment « l’angoisse de l’existence, éclairée par intermittence par le soleil », déclara à propos de ses Humoresques le compositeur. On se rappelait, en les écoutant ainsi magnifiées, que Sibelius envisagea en ses débuts une carrière de violoniste, et aussi que lors qu’on lui demanda quelles étaient les trois personnalités qu’il regrettait de n’avoir jamais rencontrées, il cita Pablo de Sarasate, étincelant virtuose du violon s’il en fut, à côté de Grieg et Strindberg. En début de programme, le bref Nocturne tiré de sa musique de scène pour Le festin de Balthazar (belle cantilène de flûte), et après l’entracte Une vie de héros de Richard Strauss, imposant comme jamais.
Marc Vignal
 
Auditorium de Radio France, 3 février (Photo © DR)

 

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