Mardi 19 mars 2024
Concerts & dépendances
mardi 31 janvier 2012 à 10h33

« C'est quoi les gens modernes ? » demande un enfant qui a tout compris à la fin de Von Heute auf Morgen, d’Arnold Schönberg. C'est aussi la question que pose Serge Dorny au Triptyque de Puccini. Plutôt que de proposer, ces trois courts opéras en une soirée, le directeur de l'Opéra de Lyon a confronté chaque volet à un ouvrage en un acte contemporain : Il Tabarro / Von Heute und Morgen de Schönberg ; Suor Angelica / Sancta Susanna de Hindemith ; Gianni Schicchi / Une tragédie florentine de Zemlinsky. Ce triple jeu de miroirs fonctionne à merveille : les ambitions artistiques, esthétiques et politiques de Puccini saillent comme jamais. Quant aux trois ouvrages germanophones, ils tracent une stupéfiante carte des modernités entre 1917 et 1930. À sa façon, chacun est un brûlot : sociétal (Von Heute und Morgen) avec ce couple tenté de vivre à la « moderne » (chacun mènerait sa propre vie amoureuse) ; moral (Une tragédie florentine) avec une épouse vénéneuse qui, pour retrouver son mari, le laisse assassiner son amant ; et, surtout, religieux (en matière de blasphème, la pièce Golgota picnic de Rodrigo García est une bluette à côté de Sancta Susanna). Sur scène, les distributions sont au pire opportunes, au mieux d'un exceptionnel standard international. Scéniquement, les ouvrages germaniques l'emportent, grâce aux metteurs en scène John Fulljames (Hindemith et un très élégant Schoenberg), et Georges Lavaudant au mieux de sa forme (Zemlinsky). Comme quoi une maison d’opéra peut être l'égale des grandes institutions théâtrales (Schaubühne de Berlin, Théâtre Vidy de Lausanne, Théâtre national de l'Odéon). Pourquoi l'Opéra de Paris ne s’y mettrait-il pas ?


Frank Langlois

Opéra National de Lyon, jusqu’au 13 février http://festival-puccini.opera-lyon.com/le-festival/ Photo © DR

samedi 28 janvier 2012 à 00h29

Nouveau chapitre de la série noire à l’Opéra de Paris : la création de La Cerisaie de Philippe Fénelon, d’après la pièce de Tchékhov. Comme Peter Eötvös, qui avait réorganisé Les Trois Sœurs (1998) en adoptant le point de vue de chacune des sœurs sur la même situation, Fénelon et son librettiste Alexei Panine ont composé une grande variation sur la scène clé du bal, où l’on apprend que la cerisaie est vendue à l’ancien moujik Lopakhine. Une façon d’échapper au temps tchékhovien et à la petite musique qui va avec. L’ennui est que le non-dit - lui aussi essentiel chez Tchékhov -, laisse la place au trop dit, et même au ressassé, sans que le propos soit clair pour autant. La musique est à l’avenant, indiscrète, explicative, référentielle, déjà entendue, et la mise en scène de Georges Lavaudant essentiellement clownesque, sans doute pour montrer qu’on est en Russie, où l’on rit et pleure en même temps. L’ouvrage est d’ailleurs chanté en russe (coproduction avec le Bolchoï de Moscou), ce qui ajoute à la confusion sans lui conférer un quelconque parfum d’authenticité.

François Lafon

A l’Opéra de Paris, Palais Garnier, les 30 janvier, 2, 5, 7, 10, 13 février. Photo © Opéra de Paris

vendredi 27 janvier 2012 à 01h11

Reprise à l’Opéra Bastille de La Dame de pique de Tchaïkovski dans la mise en scène de Lev Dodin (1999). Un spectacle qui fait du bien, après la série noire des créations maison de la saison (Faust, La Force du destin, Manon). Le public (le vrai, pas celui des premières) est encore divisé. « Au fou ! », persifle un monsieur en voyant cette histoire d’obsession du jeu et de cartes maléfiques transporté dans un asile d’aliénés, où le héros dans son délire revoit les aventures qui l’ont mené là. Enthousiasme pour les chanteurs (Vladimir Galouzine, Olga Guryakova, Ludovic Tézier), succès plus modéré pour le chef Dmitri Jurowski, qui n’a que le tort d’être moins charismatique que son frère Vladimir, lequel dirigeait le spectacle en 99. Dodin, en 2005 sur la même scène, a déçu dans Salomé de Strauss. N’empêche que c’est de metteurs en scène de sa trempe qu’aurait actuellement besoin la Grande boutique.

François Lafon

A l’Opéra de Paris Bastille, les 29 et 31 janvier, 3 et 6 février Photo © Opéra de Paris

A Pleyel, Viktoria Mullova joue le Concerto pour violon de Brahms avec l’Orchestre de Paris. C’est la fin d’un cycle commencé en janvier à l’auditorium du Louvre : Bach, Vivaldi, Haendel, Leclair, Beethoven, Schubert, Bartok, Weather Report, c'est-à-dire trois siècles et demi de musique, du baroque au jazz-rock-fusion. Public mêlé : on sent que ses fans la suivent, que sa façon, ou plutôt ses façons de faire de la musique – sur violon monté ou non à l’ancienne - font école, deviennent des modèles. Son Brahms profite de cette perspective : on y entend tout ce qu’il a de classique, mais aussi, et tout autant, les innovations que Joseph Joachim, le créateur, avait revues, corrigées, « rendues jouables » avec le compositeur. Paavo Järvi va dans son sens. Il a commencé le concert par une impeccable Symphonie n° 83 « La Poule » de Haydn, et le terminera avec une 2ème Symphonie de Brahms qu’il entend comme un lointain écho du grand style classique viennois. Même esprit pour le Concerto pour violon : avec Mullova, il dégraisse cette musique sans jamais l’assécher. 

François Lafon

Salle Pleyel, Paris, les 25 et 26 janvier. Au Grand Théâtre d’Aix-en-Provence le 27.

vendredi 20 janvier 2012 à 00h15

Aux Bouffes du Nord, Katia Kabanova de Janacek. Mais où met-on l’orchestre ? Nulle part. Il s’agit d’un travail d’atelier, accompagné au piano et venu de la fondation Royaumont. « J’ai pensé que je pouvais très modestement inscrire cette démarche dans les pas de Peter Brook, » explique André Engel, le metteur en scène. Mais Engel n’est pas loin d’être lui aussi une légende, et son travail est exemplaire. L’œuvre s’y prête : un drame provincial à quelques personnages, tiré d’une pièce russe célèbre (L’Orage d’Alexandre Ostrovski), une musique calquée sur les inflexions de la langue tchèque. « Je voulais inscrire l’œuvre dans un lieu où l’on accepte le présupposé de ne pas faire de l’opéra stricto sensu, continue Engel, un espace ouvert à un travail à la frontière entre l’opéra et le théâtre. » Difficile de donner un opéra en gros plan sans en tuer la magie. Brook y est arrivé aux Bouffes du Nord avec La Tragédie de Carmen et Impressions de Pelléas. Engel y parvient en obtenant de sa troupe (ils sont tous justes, comme acteurs et comme musiciens) un jeu à la fois réaliste et dénué d’effets. Et l’orchestre somptueux de Janacek (photo), il ne manque pas ? Si, tout le temps. Et pourtant cette épure de Katia Kabanova nous en dit bien autant que nombre de productions à gros budget.

François Lafon

Bouffes du Nord, Paris, jusqu’au 4 février. www.bouffesdunord.com

A Pleyel, Andris Nelsons dirige l’Orchestre de Paris dans la Symphonie alpestre de Richard Strauss. La semaine dernière, même lieu même orchestre, Herbert Blomstedt dirigeait Une Vie de héros du même Strauss. Si l’on vous demande à quoi sert un chef, prenez ces deux là comme exemples. Nelsons, trente-quatre ans, disciple du grand manieur d’orchestres qu’est Mariss Jansons, prend l’énorme phalange straussienne à bras le corps, en exacerbe les contrastes, en tire une symphonie de couleurs. Blomstedt, quatre-vingt-cinq ans, superpose les couches sonores en un savant tuilage et traite, comme le faisait Karl Böhm, cette musique de l’excès avec la même finesse qu’une symphonie de Mozart. Deux époques, deux écoles ? Deux tendances plutôt, aussi vieilles que le métier de batteur de mesure. En première partie, Nelsons accompagne le jeune Sergey Khachatryan dans le Concerto pour violon de Beethoven : archet flamboyant, orchestre péremptoire. Blomstedt choisit lui aussi Beethoven - le 4ème Concerto pour piano -, avec en soliste le raffiné Till Fellner : clavier nuancé, orchestre romantique mais point trop. Encore une fois on pense à Böhm. Pas de bataille à la sortie entre pro l’un et anti l’autre. Avec les deux, d’ailleurs, l’orchestre est sur son trente-et-un.

François Lafon

Andris Nelsons – Sergey Khachatryan : 18 et 19 janvier. Concert du 19 en direct sur Radio Classique.

Ouverture, au Châtelet, de Présences 2012, 22ème festival de musique contemporaine de Radio France. L’année dernière, le héros de la fête était Esa-Pekka Salonen, piètre compositeur, mais chef vedette : salles pleines, grosse couverture médiatique. Cette année, c’est Oscar Strasnoy, présenté comme « le plus français des Argentins de Berlin ». Un jeune Mauricio Kagel, en somme, connu pour son éclectisme, son goût pour un théâtre musical décalé, propre à séduire des publics venus d’ailleurs. Mais Strasnoy n’est connu que du sérail et l’aventure est plus risquée. Premier programme : création française du Bal, opéra en un acte d’après la romancière Irène Némirovsky. Public clairsemé pour cette histoire de parvenus qui convient le tout Paris mais dont la fille jette les invitations dans la Seine au lieu de les mettre à la poste. L’œuvre est donnée en version de concert, agrémentée d’amusantes illustrations projetées d’Hermenegildo Sabat. La musique aussi est amusante, pleine de citations et de dérapages, et les chanteurs payent de leur personne, mais rien ne décolle. Restent treize concerts pour vérifier l’effet Strasnoy. 

François Lafon

Présences 2012 : Oscar Strasnoy. Au Châtelet jusqu’au 22 janvier

mardi 10 janvier 2012 à 23h43

Nouvelle Manon à l’Opéra Bastille, pour le centenaire de la mort de Massenet, et pour Natalie Dessay. Etrange cas de dédoublement d’intentions. En grand format, un curieux spectacle signé Coline Serreau : des bas de soie et des punks à moto, des bigotes en roller et un abbé Des Grieux en soutane transparente, une panoplie de Miss Arras et une pub fifties à la gloire de la femme américaine, tout cela pour bien montrer que Manon est une histoire de tous les temps et que la courtisane est avant tout une femme bafouée. Sifflets mérités au rideau final. Toute petite dans ce fatras géant, Natalie Dessay joue exactement cette situation, mais avec une justesse, une sobriété, une modernité qui rendent tout le reste inutile. « Renée Fleming, sur la même scène, c’était autre chose », entend-on à l’entracte. Côté décibels, sûrement. Il faut tendre l’oreille et faire l’impasse sur le ténor (pas très bon), le chef, tout. L’exercice est fatiguant, mais on est récompensé.

François Lafon

Opéra National de Paris Bastille, les 14, 18, 22, 25, 28 janvier, 2, 5, 10, 13 février.

 

Photo © DR

 

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