Il y a eu le nouveau Gérard Philipe (Bernard Verley, qui a dû attendre l’âge mûr pour faire carrière), les nouvelles Callas (paix à leurs voix), le nouveau Domingo (un nommé Villazon), le Karajan de l’an 2000 (Simon Rattle, qui n’a rien à voir avec son prédécesseur à Berlin). Voilà qu’à la nouvelle de l’hospitalisation de Claudio Abbado, lequel est en sursis depuis que la maladie a failli l’emporter il y a une dizaine d’années, le critique anglais Norman Lebrecht se demande dans son blog Slipped disc : « Qui est le nouvel Abbado ? » Pour Mariss Jansons, qui multiplie les attaques cardiaques et vient encore d’une subir une, Lebrecht ne se fait pas trop de soucis : son élève et compatriote (letton) Andris Nelsons est en train de devenir une valeur sûre. Mais Abbado, c’est un monde à lui seul. Italien de culture et Viennois de formation, il restera dans l’histoire pour avoir été le plus grand directeur musical de la Scala de Milan depuis Toscanini (pardon Riccardo Muti) et le digne successeur de Karajan à Berlin, mais aussi pour avoir, ces dernières années, vécu un été indien jalonné de concerts rares mais exceptionnels, dont les symphonies de Mahler avec l’Orchestre de super-solistes qu’il a créé à Lucerne sont les meilleurs témoignages. Tout cela restera unique, au même titre que l’engagement d’Abbado en faveur de la musique contemporaine et que son compagnonnage politique et artistique avec Maurizio Pollini et Luigi Nono. Et modeste avec cela. Eliette von Karajan, qui s’y connaît en psychologie des rois de la baguette, l’appelle Piccolino (qu’on peut traduire par « cher petit »), ce qui, en l’occurrence, n’a rien de péjoratif.
François Lafon