Dans la louable intention de construire des ponts entre le Chine et le reste du monde, Pékin a envoyé l’année dernière le plasticien branché Zhang Huan monter Semele de Handel à Bruxelles. Auréolé du succès qu’il a remporté au Théâtre de la Monnaie, le spectacle est arrivé en fanfare dans la capitale de l’Empire du Milieu. Mais là, la commission de censure s’est déchaînée. Transposer en Chine la mythologie gréco-latine, c’est bien. La nudité et la lubricité, ça ne l’est pas : l’âne (une marionnette habitée par deux manipulateurs) doit cacher son priapisme et les acteurs sont priés de se rhabiller et d’éviter tout « geste sexuellement suggestif ». Non moins grave est l’impertinence morale, ou politique. Plus de chœur grec en robe safran : on dirait des moines tibétains. Edulcoration des sous-titres, coupures dans le film, projeté pendant l’ouverture, expliquant la présence sur scène d’éléments sculptés d’un temple de la dynastie Ming : l’ex-propriétaire dudit temple a été exécuté pour avoir tué l’amant de sa femme, et cela ne se raconte pas. Que cela soit la clé de la transposition de l’action, que le public, déjà désarçonné par la musique, ne comprenne plus grand-chose au projet initial est secondaire. Suppression enfin de L’Internationale, chantée à la fin du spectacle. Au New York Times, Lady Linda Wong Davies, directrice de la KT Wong Foundation (Londres) et productrice du spectacle, a déclaré : « La prochaine fois, nous monterons Mary Poppins ou La Mélodie du bonheur. » Parce que Le Roi et moi, cela risque de ne pas être politiquement correct ?
François Lafon
Photo : Han Fen